Depuis la France, les regrets éternels d'Olga Mikhaïlova, principale avocate d'Alexeï Navalny
L'avocate Olga Mikhaïlova estime avoir défendu pendant 16 ans "un homme absolument extraordinaire", le leader de l'opposition russe Alexeï Navalny. Elle confie ses remords éternels de n'avoir su le dissuader de rentrer au pays, où il est mort en prison.
Alors qu'approche le premier anniversaire du décès du leader de l'opposition au président russe Vladimir Poutine, Mme Mikhaïlova, sa principale avocate, dénonce la série d'évènements "tragiques" enclenchée par son retour en Russie, à commencer par ce que les partisans d'Alexeï Navalny considèrent comme son meurtre commandité par le Kremlin.
Vendredi dernier, trois membres de son équipe juridique, Vadim Kobzev, Alexeï Liptser et Igor Sergounine, ont en outre été condamnés à des peines allant jusqu'à cinq ans et demi de prison ferme pour extrémisme. Paris a dénoncé "un nouvel acte d'intimidation" à l'encontre de la profession d'avocat.
"Aujourd'hui, je regrette beaucoup de ne pas avoir fait tout ce qui était possible, tout ce qui était en mon pouvoir, pour l'empêcher de retourner à Moscou", soupire Olga Mikhaïlova lors d'un entretien avec l'AFP à Paris. "J'ai l'impression de ne pas avoir suffisamment insisté."
Alexeï Navalny avait survécu de justesse à un empoisonnement au Novitchok, un agent neurotoxique de conception soviétique, en 2020. Après avoir été soigné en Allemagne, il était pourtant rentré en Russie le 17 janvier 2021. Il y avait été immédiatement arrêté, puis emprisonné.
Trois ans plus tard, le 16 février 2024, l'opposant numéro 1 au régime russe est mort subitement dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique. Ses alliés et sa famille affirment qu'il a été assassiné sur ordre de Vladimir Poutine. Alexeï Navalny lui-même avait prédit dans ses mémoires qu'il mourrait empoisonné en prison.
- Avocats sur écoute -
"La décision de revenir le 17 janvier (2021) a eu des conséquences irréparables et tragiques", estime Mme Mikhaïlova, dont la chevelure blonde est familière aux partisans de Navalny. "Pour lui, pour ses avocats, pour leurs familles, pour tout le monde."
MM. Kobzev, Liptser et Sergounine ont également été condamnés un 17 janvier, mais en 2025, ce qui selon elle est tout sauf une coïncidence. "Il représentait un tel danger pour eux. Ils le détestaient tellement qu'ils continuent à se venger sur ses avocats", juge-t-elle.
Olga Mikhaïlova était en vacances à l'étranger lorsque ses trois confrères ont été arrêtés en 2023. Elle a choisi de ne pas retourner en Russie, où un tribunal a ensuite ordonné son arrestation par contumace.
L'emprisonnement de ses collègues est le coup le plus dur porté aux droits de la défense en Russie depuis le dictateur Joseph Staline (1878-1953), affirme-t-elle, car pour la première fois dans la Russie moderne, les avocats sont accusés "en même temps que leur client".
"Beaucoup d'avocats ont été purgés en 1937", souligne-t-elle. Mais "par la suite, il n'y a plus eu d'affaires de ce type dans l'ère soviétique."
Les autorités russes avaient ainsi mis sur écoute des conversations confidentielles entre M. Navalny et ses défenseurs en prison, et ont ensuite utilisé ces enregistrements contre eux, accuse-t-elle.
"Non seulement ils ont procédé à des écoutes, mais il y avait une personne derrière le mur qui notait tout", dénonce-t-elle. Signe que le secret professionnel entre un avocat et son client n'existe plus en Russie, déplore Mme Mikhaïlova.
Pour l'avocate d'Alexeï Navalny, l'Occident a aussi commis une "très grosse erreur politique" en excluant la Russie du Conseil de l'Europe après l'invasion de l'Ukraine, car les Russes ne peuvent depuis lors plus saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), basée à Strasbourg, dans l'est de la France.
Les conditions de détention de M. Navalny ont ensuite empiré, car, dit-elle, les autorités russes en ont déduit qu'elles jouissaient d'une totale "impunité".
"Si la Russie avait continué à faire partie du Conseil de l'Europe et de la CEDH, peut-être que cette tragédie ne serait pas arrivée à Alexeï ou à ses avocats", remarque-t-elle.
- "Un leader incroyable" -
Âgée de 51 ans, Olga Mikhaïlova vit désormais à Paris, après avoir reçu l'asile politique en France. "L'une des plus belles" villes qui soit, mais "ce n'était pas mon choix" d'y vivre, souffle-t-elle.
Elle dit étudier le français tous les jours. "Alexeï Navalny m'a toujours dit : +Apprends les langues étrangères, apprends les langues étrangères+", se souvient-elle. Et, triste ironie, maintenant qu'il est mort, "je dois apprendre des langues étrangères".
Une mort qui l'a anéantie, même s'"il est un peu plus facile de respirer maintenant", admet-elle.
"Pendant de nombreuses années, j'ai été proche de cet homme absolument extraordinaire", sourit tristement Mme Mikhaïlova, selon qui Alexeï Navalny avait beaucoup lu et beaucoup changé en prison.
"Il s'était tellement endurci. Il avait tellement grandi dans tous les sens du terme que je pensais qu'il ferait un leader incroyable pour notre pays." Et d'ajouter doucement : "Mais ça n'arrivera pas."
(F.Allen--TAG)