Christiane Taubira, l'électron libre qui n'a pas convaincu la gauche
Figure de "la gauche morale", Christiane Taubira, qui s'est retirée mercredi de la campagne présidentielle faute de parrainages suffisants, fait office d'électron libre à gauche avec un parcours et une personnalité qui la rendent très populaire, sans faire pour autant l'unanimité.
"Il est évident que nous ne réussirons pas à avoir les parrainages", a déclaré l'ex-ministre en dénonçant des partis politiques auxquels "il ne reste plus aujourd’hui que leur capacité de nuisance", leur attribuant ainsi en partie la responsabilité de son échec.
Cette petite femme de 70 ans au regard perçant, tressée de près, s'était lancée officiellement le 15 janvier dans la bataille présidentielle, comme en 2002, pour tenter, dit-elle, de rassembler une gauche dans "l'impasse" et peser face à la droite et à l'extrême droite.
Considérée par certains comme une "icône" de gauche, elle fait l'objet de solides haines à droite et à l'extrême droite, et même parfois dans son propre camp.
Connue pour son caractère bien trempé, elle a cependant "une vraie capacité à entraîner les sympathies et les soutiens", affirme l'ex-frondeur PS Christian Paul, un proche.
Elle fait d'ailleurs l'objet d'une vraie dévotion de la part des jeunes, qui remplissent ses meetings où elle n'hésite pas à pousser la chansonnette, et des collectifs citoyens "Taubira 2022", créés bien avant qu'elle ne se lance dans la campagne.
- "Candidature de plus" -
Fin janvier, elle remporte largement l'initiative citoyenne de la primaire populaire, forte de 392.000 votants, promettant alors de ne pas être "une candidature de plus".
Ce qu'elle devient pourtant de fait, échouant à réunir les candidats de gauche, qui critiquent son engagement dans la présidentielle.
Née à Cayenne le 2 février 1952 dans une famille guyanaise modeste de onze enfants, Christiane Taubira est diplômée en sciences économiques, en agro-alimentaire, en sociologie et en ethnologie afro-américaine.
Sympathisante des thèses indépendantistes dans sa jeunesse, elle remporte en 1993 les législatives avec son mouvement le Walwari (divers gauche), créé avec son mari Roland Delannon, dont elle aura quatre enfants et dont elle a divorcé. Elle est également élue députée européenne de 1994 à 1999, sur la liste du Parti radical de gauche (PRG) de Bernard Tapie.
Son nom reste associé à une loi votée en 2001 qui reconnaît la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité.
En 2002, elle se présente à la présidentielle, sous les couleurs du PRG. Elle ne recueille que 2,32% des voix, mais se voit accusée d'avoir contribué à la chute du candidat socialiste Lionel Jospin.
Au PS, certains lui en tiennent toujours rigueur. "C'est une personnalité totem de la gauche, mais pas une pure social-démocrate", dit un cadre, qui la voit "encore comme un facteur de division".
En 2012, au lendemain de la victoire de François Hollande, elle intègre le gouvernement Ayrault I comme ministre de la Justice.
- "Libre" -
Les Français découvrent sa combativité lorsqu'elle défend le projet de loi de "mariage pour tous" face à l'opposition féroce de la droite.
La loi est adoptée en avril 2013. La gauche ovationne la ministre.
Mais cette brillante oratrice perd ensuite ses arbitrages sur la réforme pénale, l'un de ses projets phare, et la réforme de la justice des mineurs, qu'elle veut moins répressive, s'enlise.
L'extrême droite vise directement sa couleur de peau, elle encaisse.
Début 2016, elle remet sa démission à François Hollande, désapprouvant publiquement sa proposition polémique de déchéance de nationalité.
"C'est une femme d'Etat, libre, avec un parcours républicain", loue Guillaume Lacroix, président du PRG, pour qui "elle incarne la gauche morale". Mais le parti la lâche mi-février, constatant son échec à rassembler la gauche.
Sans vivier de parrainages, sans financement, la candidate peine à convaincre et tombe autour de 2% dans les sondages, entravée notamment par une prestation ratée devant la Fondation Abbé-Pierre.
Pour Christian Paul, c'est "une candidate très centrale à gauche, un point de rencontre de la gauche et de l'écologie".
Mais pour un membre de la direction d’EELV, il lui manque "un corpus idéologique écologiste très développé" pour convaincre les électeurs de gauche.
(Y.Yildiz--BBZ)