Dans les Pyrénées-Orientales assoiffées, un golf sème la discorde
Ce n'est encore qu'un vaste terrain vide, où deux pelleteuses font ce qu'elles font de mieux: des trous et des tas. Mais c'est l'emplacement du futur golf de Villeneuve-de-la-Raho, projet controversé en cette période de sécheresse prolongée dans les Pyrénées-Orientales, contre lequel une manifestation se tient samedi.
"C'est ici qu'ils font leur golf?" questionne un passant d'une ville voisine devant ces friches, désormais tenues à l'écart du public par une clôture en film de plastique orange et où un géomètre réalise quelques mesures. "Quelle honte. On nous dit de faire attention toute l'année, et puis après..."
L'objet de cette désapprobation: un golf de 18 trous et 600 logements, pour une trentaine d'hectares de bâti dont les travaux ne font que commencer, mais font déjà jaser dans ce département où la pluie se laisse désirer depuis près de trois ans.
"On a perdu 60% de la pluviométrie ces trois dernières années", explique Nicolas Garcia, élu communiste et premier vice-président du département, chargé de l'eau. "Pour vous donner une idée, il faudrait 600 mm (de pluie) pour rattraper tout le retard, recharger les nappes (phréatiques) et au moins 350 mm pour passer l'été."
Or, depuis le début de l'hiver, Perpignan, limitrophe au nord, n'en a reçu qu'une cinquantaine et le préfet n'a cessé de prolonger et renforcer ses mesures de restriction sur l'usage de l'eau, en vigueur depuis le printemps 2022.
- Eaux usées -
D'où quelques sourcils levés face à un golf où l'herbe devra nécessairement être plus verte que chez le voisin. Oui, mais l'arrosage se fera principalement grâce aux eaux usées de Villeneuve-de-la-Raho, assure sa maire Jacqueline Irles (LR), qui continue de défendre bec et ongles le projet.
"On me dit, +(le golf) tombe mal en ce moment, c'est la sécheresse+. Mais jamais il n'est tombé aussi bien! C'est lui qui va apporter des solutions!", s'exclame l'édile de cette petite commune de 4.000 habitants derrière son beau bureau en bois à l'hôtel de ville.
Pour elle, en puisant dans les eaux usées, le 18 trous montre "que ça n'est pas dangereux" et ouvre la voie à la réutilisation de cette ressource pour l'agriculture.
"En toute humilité, je devrais être remerciée d'avoir fait ça, d'avoir anticipé à l'époque (en prévoyant dès 2009 l'utilisation d'eaux usées et de graminées peu consommatrices, NDLR). Et au contraire..." Elle imite le son et le geste de pleurs enfantins, qu'elle attribue à ses opposants. "Les bras m'en tombent."
Si le projet devrait par ailleurs apporter environ 200 emplois directs et indirects, il n'en provoque pas moins une levée généralisée de boucliers.
- "Paillasson" -
Le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau avait dit craindre que le golf privé d'eau ne ressemble à un "paillasson". Une tribune de 92 enseignants et employés de l'université de Perpignan dénonçait début février un projet "emblématique d'une vision dépassée".
Les opposants y voient une injustice flagrante en faveur des privilégiés qui fouleront le "green".
"On envoie un message selon lequel, dans la société, il y a deux poids et deux mesures. Tu es riche, les restrictions ne s'adressent pas à toi. Tu es un citoyen lambda, tu vas être brimé dans ta consommation (d'eau). Donc au niveau du partage équitable de la ressource et du partage équitable de l'effort, c'est un message scandaleux", fulmine Jean Codognès.
Son association, Pays catalan écologie, a déposé un recours hiérarchique auprès du ministre de l’Écologie Christophe Béchu, contre la prorogation, fin décembre pour cinq ans de plus, d'un arrêté du préfet permettant l'expropriation des parcelles nécessaires au projet.
De l'autre côté de la départementale D39, qui longe le tracé du golf, se trouve le lac de Villeneuve-de-la-Raho, une retenue principalement destinée à l'irrigation, à moitié vide pour cause de sécheresse.
Les opposants de tous bords, politiques et associatifs, agriculteurs et militants écolos, doivent s'y retrouver samedi en milieu de matinée pour monter jusqu'à l'hôtel de ville. La maire n'y sera pas, la faute à un week-end prévu de longue date.
(N.Miller--TAG)