Au Pérou, une faible empreinte carbone n'est pas un choix mais signe de pauvreté
Pour aller travailler, c'est toujours à pied que Sofia Llocclla Pellaca, 31 ans, descend la colline de la banlieue de Lima où elle vit, dans une maison en tôle dépourvue de chauffage. Elle mange rarement de la viande et cuisine au gaz ou au feu de bois.
Cette mère célibataire de deux enfants n'a jamais entendu parler d'empreinte carbone et son faible impact sur l'environnement n'est que le reflet de la misère dans laquelle elle vit. Comme elle, près d'un tiers des 30 millions de péruviens sont pauvres.
L'éradication de la pauvreté tout en luttant contre le changement climatique est l'un des principaux défis auxquels sont confrontés les pays en développement, qui, avec l'ensemble des dirigeants mondiaux, participeront le mois prochain à la COP28 aux Emirats arabes unis.
"Je m'en vais en marchant, je reviens en marchant", explique cette femme de l'ethnie amérindienne quechua, aux longs cheveux tirés en chignon, disant à peine utiliser les transports publics et ne jamais avoir pris l'avion.
Elle est aide ménagère et gagne moitié moins du salaire minimum péruvien qui est de 265 dollars par mois. Comme la plupart des 2,7 millions de pauvres de Lima, elle vit dans les bidonvilles des collines qui entourent la capitale, dépourvues d'éclairage public et régulièrement plongées dans la brume.
Le Pérou a l'une des empreintes carbone les plus faibles du continent américain, émettant en moyenne 1,7 tonne de carbone par habitant, contre 4,2 tonnes en Argentine. Aux Etats-Unis, elle est de 15 tonnes, soit plus de trois fois la moyenne mondiale.
Selon les experts, pour limiter l'augmentation de la température à la surface du globe, il faudrait réduire à moins de deux tonnes l'empreinte carbone de chaque individu au cours des prochaines décennies.
- "Petit à petit" -
Dans sa maison, Sofia Llocclla Pellaca n'a pas de salle de bain. Elle dispose cependant d'une télévision et d'un réfrigérateur, régulièrement à moitié vide. Elle et sa mère, qui habite quelques maisons plus haut, sont alimentées en électricité grâce à un branchement pirate.
Il n'y a pas d'éclairage public ni de système d'égouts, et l'eau potable arrive tous les 15 jours par camion-citerne.
L'économie péruvienne repose principalement sur la pêche et l'exploitation minière, alors que 73% de la population active travaille dans le secteur informel, des petits boulots non déclarés.
Environ 63% des émissions de carbone du pays andin résultent de la déforestation dans la jungle amazonienne et de l'urbanisation de terres forestières ou agricoles, indique à l'AFP Manuel Pulgar-Vidal, ancien ministre de l'Environnement.
La majeure partie de l'énergie péruvienne est d'origine hydroélectrique, le pays n'étant pas dépendant du pétrole et du charbon, principales sources de CO2, souligne-t-il.
Cependant, il est "déroutant et trompeur" de penser que le pays, parce qu'il est en développement, peut se soustraire à ses responsabilités face à la crise climatique, prévient l'ancien ministre.
Selon lui, une grande partie de l'Amérique latine n'a pas encore réussi à élaborer des "stratégies claires" pour migrer vers les énergies renouvelables car "prise au piège du pétrole, du charbon et du gaz".
Riche ou pauvre, "le monde abandonnera progressivement les combustibles fossiles. C'est inévitable", juge M. Pulgar-Vidal.
Dans les périphéries paupérisées de Lima, le défi sera, selon lui, de garantir les services de base, améliorer la gestion des déchets, adopter un mode de construction en harmonie avec "l'écosystème environnant" et électrifier les transports.
Ce qui préoccupe le plus Sofia Llocclla Pellaca c'est justement "la mobilité" de Flor Maria, sa fille de 14 ans. Elle rêve d'une moto sur laquelle elle pourrait l'emmener à l'école.
"Ce serait bien" d'acheter un panneau solaire pour avoir plus régulièrement de l'électricité "qui va et qui vient", dit-elle aussi. Mais un petit panneau coûte 115 dollars, soit environ son revenu mensuel. Elle espère pouvoir en acheter un à l'avenir "mais petit à petit".
(T.Wright--TAG)