Côte d'Ivoire: Adjata Kamara, la jeune chercheuse et les ignames
Enfant, elle se demandait pourquoi la plantation de mangues de son père en Côte d’Ivoire produisait moins qu’avant: alors, pour comprendre, Adjata Kamara s'est lancée dans de longues études sur la santé des plantes, en particulier de l'igname.
Aujourd’hui âgée de 25 ans, elle est doctorante en agriculture durable, biodiversité et changement climatique et a été récompensée par la Fondation L’Oréal et l’Unesco, qui ont lancé en 1998 l’initiative For women in science (Pour les femmes et la science), destinée à "donner de la visibilité" aux chercheuses à travers le monde.
Adjata fait partie des vingt lauréates du prix jeunes talents d’Afrique subsaharienne - hors Afrique du Sud - de For women in science qui recevront de 10.000 à 15.000 euros pour les aider dans leurs travaux.
Vêtue d’une blouse blanche, gaie et souriante, Adjata est très à l’aise quand elle explique avec clarté à l’AFP ses travaux au Pôle scientifique et d’innovation de l’université Félix Houphouët Boigny de Bingerville près d'Abidjan.
"Mes recherches portent sur les biopesticides post-récolte de l’igname qui est une culture importante en Côte d’Ivoire, troisième pays en terme de production après le Nigeria et le Bénin" en Afrique de l’Ouest, dit-elle.
"Nous avons remarqué que le temps de conservation de l’igname avait fortement baissé: il y a dix ans on voyait apparaître de la pourriture deux à trois mois après la récolte, maintenant c’est après une ou deux semaines", explique Adjata.
Au microscope et sur son écran d’ordinateur, elle observe "les champignons qui causent cette pourriture précoce une fois l’igname récolté", sous les regards bienveillants de Brahima Camara et Fatogoma Sorho, respectivement responsable de l’unité biopesticides et directeur de recherches à Bingerville.
Brahima Camara tient d'ailleurs à exprimer sa "fierté" de voir les recherches de cette "bonne élève" reconnues et récompensées, qui mettent en lumière les travaux de l'unité qu'il dirige à l'université.
Adjata explique que son but est de mettre au point "des biopesticides à base d’extraits de plantes, de champignons et bactéries bénéfiques", afin de traiter sans produits chimiques cette anomalie qui perturbe la production d’une plante à la base de la nourriture dans plusieurs régions d’Afrique.
- "J'essayais de comprendre" -
Car ses recherches ont permis de déterminer que les pesticides chimiques "qui appauvrissent le sol" et les méthodes de récolte des agriculteurs qui "font des blessures sur l’igname", favorisaient l’apparition rapide de champignons qui pourrissent la plante et la rendent à terme impropre à la consommation.
D’où l’urgence de mettre au point des pesticides naturels: Adjata dit avoir déjà obtenu des "résultats satisfaisants" en laboratoire et sur de petites parcelles où ils ont commencé à être testés.
Née à Bondoukou, dans le nord-est de la Côte d'Ivoire, région renommée pour ses tubercules d'ignames, la jeune chercheuse est la dernière d'une famille de seize enfants.
Là-bas, "mon père avait une plantation de mangues où on constatait que le rendement avait baissé", raconte-t-elle, ajoutant: "J’étais petite et j’essayais de comprendre pourquoi, c'est depuis lors que j'ai aimé la science et m'y suis consacrée".
Elle a donc choisi d'étudier dans un collège où l'on enseignait "les sciences de la terre et de la vie pour pouvoir répondre à ma question de départ", puis à l'université, "la biologie et physiologie végétale".
Avoir été récompensée est "un honneur, ça me permet de montrer ma recherche à d'autres femmes, à d'autres pays" dit-elle, mais ça lui met aussi "un peu la pression", car "il faut que je sois un modèle pour les jeunes filles qui doivent faire de la science".
Les 10.000 euros qu'elle va recevoir lors d'une cérémonie de remise des prix prévue le 1er décembre à Abidjan, vont lui permettre d'étendre ses recherches "sur le terrain" pour "voir si mes pesticides sont efficaces et continuer jusqu'à leur homologation".
Alexandra Palt, directrice générale de la Fondation L’Oréal note que seulement "2% des chercheurs" de la planète sont originaires d’Afrique subsaharienne, dont "un tiers de femmes". "C’est un gros problème, car il est essentiel d’avoir une recherche africaine pour les Africains", déclare-t-elle à l’AFP.
Le Pôle innovation et scientifique de Bingerville travaille en partenariat avec d'autres universités africaines, notamment au Kenya, avec pour objectif de former et d'aider financièrement 10.000 chercheurs africains chaque année.
(O.Joost--BBZ)