Energie: sommet européen de crise sur fonds de tensions franco-allemandes
Les dirigeants de l'UE se réunissent jeudi et vendredi à Bruxelles pour tenter de surmonter leurs divisions et trouver enfin une réponse commune à la flambée de l'énergie sur fond de désaccords entre Paris et Berlin.
La guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie ont provoqué un choc sur les prix du pétrole, du gaz et de l'électricité. Mais, depuis février, l'Europe réagit avec lenteur, affaiblie par les intérêts divergents des pays membres.
Le couple franco-allemand, moteur de la coopération européenne, semble en panne. Une réunion des ministres des deux pays, prévue le 26 octobre à Fontainebleau (France), a été reportée en janvier.
A son arrivée à Bruxelles, le président français Emmanuel Macron s'est dit déterminé à préserver "l'amitié et l'alliance" avec l'Allemagne. "Nous avons beaucoup de travail devant nous", a-t-il cependant reconnu en évoquant le sommet à venir, avant un tête-à-tête avec le chancelier allemand Olaf Scholz en début d'après-midi.
Ce sommet est "le plus important depuis longtemps" a averti cette semaine le Premier ministre belge, Alexander De Croo. S'il n'aboutit pas à un "signal politique clair que nous avons la volonté de ne plus tolérer les prix élevés du gaz", ce sera "l'échec de l'Europe", a-t-il lancé.
Il y a pourtant urgence, avec des milliers d'entreprises européennes qui craignent pour leur survie, menacées par la concurrence aux Etats-Unis ou en Asie où les tarifs sont restés plus sages. En Allemagne et en France, des manifestations ont réuni des milliers de personnes contre la vie chère.
Plusieurs diplomates s'attendent à des discussions très longues entre les 27 chefs d'Etat et gouvernement.
Dans un entretien à l'AFP, la ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera, a critiqué ouvertement le travail de la Commission européenne.
"Les propositions sont encore un peu timides: on manque toujours de mesures concrètes sur une grande majorité de sujets. Il y a eu certes un réel effort depuis un an (...) mais il est frustrant de voir à quel point la réaction de l'Europe face au défi auquel nous faisons face est lente et laborieuse", a-t-elle dit.
Lors du dernier sommet à Prague, début octobre, plusieurs dirigeants avaient rudoyé la présidente allemande de l'exécutif européen, Ursula von der Leyen. Le chef du gouvernement polonais, Mateusz Morawiecki, l'avait notamment accusé de représenter les intérêts allemands. "Sept mois de retard nous valent une récession", lui avait lancé l'Italien Mario Draghi, selon des propos rapportés à l'AFP.
- "Aller plus vite" -
Mais la présidente de la Commission est confrontée aux désaccords entre les Vingt-Sept qui ont chacun leur propre mix énergétique, les uns s'appuyant sur le nucléaire, d'autres sur le gaz ou même le charbon pour produire leur électricité.
Ils se divisent notamment sur la question d'un plafonnement du prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité. Un dispositif de ce type est déjà appliqué en Espagne et au Portugal, où il a permis de faire chuter les prix.
Plusieurs pays dont la France demandent l'extension de ce mécanisme, dit "ibérique", à l'échelle de l'UE.
Mais l'Allemagne s'y oppose, ainsi que plusieurs pays nordiques, dont le Danemark et les Pays-Bas, rétifs aux interventions étatiques sur les marchés.
Berlin estime que faire baisser artificiellement le prix du gaz nuirait à l'objectif de sobriété énergétique, en incitant à consommer plus.
Un projet de conclusions du sommet réclamait cependant à la Commission de préparer une proposition pour cet instrument. "Le modèle ibérique mérite d'être étudié. Des questions restent en suspens, mais je ne veux négliger aucune piste", a déclaré mercredi Mme von der Leyen.
Un plafond sur le prix des importations est exclu. Fixer un prix maximum "comporte toujours le risque que les producteurs vendent ensuite leur gaz ailleurs, et que nous, les Européens, nous retrouvions avec moins de gaz au lieu de plus", a martelé Olaf Scholz devant le Bundestag.
Mme von der Leyen a détaillé cette semaine d'autres propositions : des achats de gaz en commun, de nouvelles règles pour tenter d'imposer le partage du gaz en Europe pour aider les pays les plus en difficulté ou encore une réforme de l'indice du marché gazier TTF (la "Bourse du gaz" européenne), utilisé comme référence dans les transactions des opérateurs.
"Il y a eu beaucoup de progrès, mais pas de percée fondamentale", reconnaît un diplomate européen. "Les priorités diffèrent: l'Allemagne privilégie la sécurité d'approvisionnement car elle peut se permettre des prix élevés, mais beaucoup de pays ne peuvent pas faire face à ces coûts".
(G.Gruner--BBZ)