Bruxelles veut changer les règles du marché du gaz, discussions "tendues" à venir
La Commission européenne a détaillé mardi ses propositions pour atténuer la flambée des coûts de l'énergie, notamment en s'attaquant à la volatilité du marché du gaz -- des mesures qui restent à discuter et affiner par les Etats membres, toujours divisés sur le principe d'un plafonnement des prix.
Face aux divergences persistantes des Vingt-Sept, l'exécutif européen a présenté des dispositions faisant l'objet d'un "consensus maximal": elle seront examinées jeudi et vendredi lors d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, puis mardi par les ministres de l'Energie.
Mais rien n'est encore acté. "Il y aura des discussions tendues", prévient un diplomate européen.
"On a beaucoup avancé, mais sans percée fondamentale (...) Les priorités divergent: l'Allemagne fait le choix de la sécurité des approvisionnements car elle peut se permettre les prix élevés, mais beaucoup de pays ne peuvent pas suivre budgétairement", abonde un autre.
Bruxelles attend désormais des Etats "une orientation stratégique", avant de déterminer avec eux le détail des mesures, a précisé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, en marge d'une session des eurodéputés à Strasbourg.
La Commission a proposé notamment de détrôner l'indice du marché TTF (la "Bourse du gaz" européenne), utilisé comme référence dans les transactions des opérateurs gaziers.
Traditionnellement axé sur le gaz acheminé par gazoduc et visé par la spéculation, il s'est envolé suite aux réductions des livraisons russes, sans refléter les importations croissantes de gaz naturel liquéfié (GNL) par navire.
L'idée est de le remplacer d'ici mars 2023 par un indice alternatif plus représentatif des approvisionnements réels pour assurer "des prix stables et prévisibles".
-"Signal clair"-
D'ici là, Bruxelles préconise d'encadrer temporairement les fluctuations des prix sur le TTF par une fourchette, avec un plafond "dynamique" tenant compte du marché mondial. Un mécanisme distinct permettrait d'interrompre sur les marchés dérivés les envolées brutales en cours de séance.
"C'est important de donner un signal clair que l'UE est un acheteur fiable, mais plus à n'importe quel prix", a souligné Mme von der Leyen, assurant que Bruxelles travaillera aux modalités de mise en oeuvre dès que les Etats "auront donné leur accord sur le principe".
Par ailleurs, Bruxelles veut enfin concrétiser des achats en commun de gaz à l'échelle de l'UE en vue de la prochaine saison de remplissage des stocks: un prestataire de services serait chargé de recenser les besoins et de rechercher des fournisseurs intéressés pour répondre à cette "demande agrégée".
Les entreprises importatrices pourraient alors se constituer en "consortiums" pour négocier. L'idée étant d'obtenir ainsi de meilleurs prix et d'éviter que les Vingt-Sept se fassent concurrence entre eux. Ces achats communs resteraient volontaires, mais Bruxelles souhaite qu'ils couvrent au moins 15% des objectifs de remplissage des stocks que se sont fixé les Etats membres.
Enfin, la Commission veut muscler les obligations de solidarité avec un accord-type garantissant l'approvisionnement par d'autres Etats membres de tout pays en situation d'urgence.
- Obligations de solidarité -
Alors que leur économie pâtit de l'explosion des prix, les Vingt-Sept, dont les mix énergétiques varient considérablement, peinent à trouver une parade commune.
Quinze Etats dont la France avaient réclamé début octobre un plafonnement des prix des importations européennes de gaz -- mais Berlin s'y oppose farouchement, redoutant d'aggraver les tensions d'approvisionnement de GNL dans un marché mondial tendu, tout comme les pays d'Europe centrale (Autriche, Hongrie...) toujours dépendants des hydrocarbures russes et craignant que Moscou ne ferme totalement le robinet.
De même, Paris plaide vigoureusement pour plafonner le prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité dans l'UE: ce dispositif, déjà appliqué en Espagne et au Portugal, permet de faire mécaniquement chuter les prix de l'électricité. Mais des pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas s'inquiètent du risque d'un boom de la demande de gaz s'il est appliqué.
Bruxelles n'a pas inclus ce "mécanisme ibérique" dans ses propositions mardi, mais sans fermer la porte.
"Cela mérite d'être envisagé en profondeur, mais il reste des questions à résoudre", a commenté Mme von der Leyen, évoquant les marges de manoeuvre inégales des Etats pour le financer et le risque de subventionner une production d'électricité qui serait in fine exportée vers des pays hors UE.
(L.Kaufmann--BBZ)