La décision de l'Opep+, un coup dur pour Biden
Un casse-tête politique doublé d'un camouflet diplomatique: la décision de l'Opep+ de réduire sa production, qui pourrait faire flamber les prix à la pompe, tombe mal pour Joe Biden, à un mois d'élections législatives cruciales.
Dans un communiqué, il s'est dit "déçu de la décision à courte vue" du cartel de pays producteurs et exportateurs d'or noir.
"Il est clair qu'avec sa décision aujourd'hui, l'Opep+ s'aligne avec la Russie", a ensuite déclaré, en durcissant le ton, sa porte-parole Karine Jean-Pierre.
Les 13 membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, menés par l'Arabie saoudite, et leurs dix partenaires conduits par la Russie ont convenu d'une baisse de "deux millions" de barils par jour pour le mois de novembre.
Cette coupe drastique pourrait faire flamber les prix du brut au bénéfice des pays producteurs, dont la Russie, qui a besoin des ventes d'hydrocarbures pour financer son invasion de l'Ukraine.
- Réserves stratégiques -
Face à ce risque économique et électoral, la Maison Blanche esquisse déjà sa riposte. Elle va notamment "mettre sur le marché le mois prochain dix millions de barils pris sur les réserves stratégiques de pétrole".
L'exécutif américain avait déjà décidé en mars de mettre à contribution pendant plusieurs mois ces réserves d'or noir, désormais au plus bas depuis juillet 1984.
"Les Etats-Unis ne peuvent pas puiser éternellement dans les réserves stratégiques (...) et l'Opep le sait", constate l'analyste Andy Lipow (Lipow Oil Associates), pour qui la solution serait "de produire davantage de pétrole" sur le sol américain.
Le président, à qui l'opposition républicaine reproche régulièrement d'avoir bridé le secteur pétrolier, a promis mercredi d'explorer "toute action supplémentaire responsable pour continuer à augmenter la production avec effet immédiat" aux Etats-Unis.
Joe Biden veut aussi réfléchir à la meilleure manière de "réduire le contrôle de l'Opep+ sur les prix de l'énergie", selon le long communiqué de la Maison Blanche, qui n'explique pas toutefois ce qu'elle veut dire par là.
Selon Andy Lipow, Joe Biden dispose d'un autre levier, plutôt radical: il pourrait "décider une interdiction d'exportation de pétrole brut" hors des Etats-Unis.
Mais l'expert signale que "cela pénaliserait les alliés européens et asiatiques". Or le président américain a au contraire besoin de soigner ses partenaires pour faire face à la Russie et à la Chine.
Dans l'immédiat, Joe Biden en est réduit à exprimer sa frustration, et à en appeler aux entreprises pour juguler les prix à la pompe.
- "Fist bump" -
Le démocrate de 79 ans sait qu'une remontée des prix de l'essence à un mois des élections législatives de mi-mandat saperait les chances de son parti, qui jusqu'ici espère garder au moins le contrôle de l'une des deux chambres du Congrès, le Sénat.
Joe Biden et plus généralement les démocrates ont été portés récemment dans les sondages par les inquiétudes aux Etats-Unis sur le droit à l'avortement. Mais le retour dans la campagne de préoccupations économiques ferait potentiellement les affaires du camp républicain.
Casse-tête politique, la coupe majeure de l'Opep+ est aussi un camouflet diplomatique pour Joe Biden.
Le président américain s'était rendu en juillet à Jeddah, en Arabie saoudite, pour une visite officielle qui l'a notamment vu échanger un "fist bump", salut familier poing contre poing, avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, et participer à un sommet avec de nombreux dirigeants arabes.
La Maison Blanche assure que ce déplacement, vivement critiqué par des militants des droits humains, n'avait rien à voir avec le pétrole.
Joe Biden avait pourtant affirmé sur place avoir eu "une bonne discussion" avec les Saoudiens sur la nécessité d'"une offre de pétrole adaptée afin de soutenir la croissance économique mondiale".
"Je suis de ceux qui pensaient que le voyage du président en Arabie saoudite s'était bien passé. La décision de l'Opep+ me dit que j'avais tort. Les Saoudiens ont clairement fait comprendre qu'ils se fichaient de leurs relations avec Biden", a commenté sur Twitter le politologue David Rothkopf.
(K.Müller--BBZ)