Aux Comores, le riz inespéré après des mois de pénurie
La nuit avance sur la capitale comorienne mais le port fourmille encore de monde: après plus de trois mois de grave pénurie, une cargaison inespérée de riz, nourriture de base dans l'archipel de l'océan Indien, est déchargée.
Comme le reste du monde, les Comores, près de 890.000 habitants entre Madagascar et la côte Est du continent africain, ont subi une flambée du cours des céréales et des ruptures d'approvisionnement en denrées. Mais en quelques mois, la crise du riz a atteint ici un paroxysme et provoqué des heurts dans la petite nation pauvre, qui importe l'essentiel de sa consommation d'Inde et du Pakistan.
"Nous pouvons déclarer officiellement la fin de la pénurie de riz avec cette cargaison de 800 tonnes et celle de 12.000 tonnes attendue mardi", lance Ben Abdallah Youssouf lundi soir, devant le cargo amarré dans le port de Moroni.
Vêtu d'un gilet fluorescent, il travaille pour l'Office national d'importation et de commercialisation du riz (ONICOR). Aux Comores, l'État détient le monopole sur le commerce du riz dit "ordinaire", le plus abordable et le plus consommé.
La pénurie d'"or blanc", comme la céréale est surnommée ici, s'est d'abord faite cruellement sentir sur l'île d'Anjouan, la plus densément peuplée de l'archipel et la plus proche de Mayotte.
Des rationnements ont été mis en place, un sac de 25 kilos devant parfois suffire à six familles. Au fil des semaines, les queues se sont allongées devant les points de distribution. L'attente dure souvent des heures. Certains mettent une brique pour marquer leur place pendant qu'ils vaquent à d'autres occupations.
- Renforts policiers -
Début septembre, une petite cargaison était arrivée par bateau. Après déjà plusieurs mois de manque, les réserves étaient à sec dans la plupart des maisons.
Environ 800 tonnes sont alors débarquées sous surveillance de forces de l'ordre lourdement armées. Largement insuffisant, le pays consomme de 5.000 à 7.000 tonnes de riz par mois, selon le gouvernement.
Sur la route, un convoi transportant des sacs est attaqué. Neuf personnes sont arrêtées, la présence policière est renforcée. Le gouvernement promet la livraison de stocks d'urgence pour calmer les esprits. Mais ces promesses sont repoussées de jour en jour.
Certaines distributions finissent par être organisées dans des postes de gendarmerie. A Ouani (nord), les gendarmes ont fait usage de gaz lacrymogène le mois dernier pour disperser une foule échauffée.
Le kilo de riz, qui coûte d'ordinaire moins d'un euro, a vu son prix plus que quadrupler. Les familles tentent de trouver des alternatives mais les pâtes et autres tubercules flambent aussi sous l'effet de la demande.
Un quart des Comoriens vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
Tout ça n'est "bientôt plus qu'un mauvais souvenir", affirme Ben Abdallah Youssouf, en continuant à surveiller la livraison à Moroni. Mais certains restent dubitatifs: "Ils disent qu'il y a assez de riz pour tout le monde mais moi je n'y crois plus", dit Ben Laden, parmi la foule, qui jure qu'il ne repartira pas les mains vides.
A peine déchargés, les sacs sont placés dans les camions des commerçants. Devant le magasin de Kirti Khodidas, dans la vieille-ville de la capitale, des soldats sont présents en cas de débordement. La commerçante espère écouler 800 sacs d'un coup.
Dans la nuit, le camion de livraison arrive enfin. Mma Ibou, la quarantaine et vêtue d'un pagne traditionnel, repart en courant avec un sac de riz sur la tête, son visage marqué soudain illuminé d'un sourire.
(K.Lüdke--BBZ)