Soupçons de conflits d'intérêts: Dupond-Moretti, renvoyé en procès, garde la "confiance" d'Elisabeth Borne
Une première pour un Garde des sceaux en exercice : la Cour de justice de la République (CJR) a ordonné lundi un procès contre Eric Dupond-Moretti, accusé d'avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats à qui il s'était opposé quand il était avocat.
Sollicité par l'AFP, Matignon a indiqué que M. avait "toute la confiance de la Première ministre" Elisabeth Borne et que "la question de son maintien au gouvernement ne se (posait) pas".
Le ministre de la Justice, qui était en déplacement en Guyane durant le week-end, s'était fait représenter par ses avocats devant la commission de l'instruction de la CJR à Paris.
"Comme malheureusement nous nous y attendions, c'est un arrêt de renvoi qui a été rendu par la commission de l'instruction", ont annoncé Me Christophe Ingrain et Rémi Lorrain à leur sortie de la CJR, indiquant avoir "immédiatement" formé un pourvoi en cassation.
Selon Me Lorrain, il appartient "désormais à l'assemblée plénière de la Cour de cassation de se saisir de ce dossier" avec une nouvelle décision sur l'ensemble de la procédure, "et de se prononcer notamment sur les nombreuses irrégularités qui ont émaillé ce dossier depuis deux ans".
Le pourvoi n'annule pas le renvoi, mais en suspend les effets. Selon une source proche du dossier, il n'est pas possible de dire à ce jour à quelle échéance la Cour de cassation rendra sa décision.
- "Défiance" -
Eric Dupond-Moretti avait été officiellement écarté de toutes les affaires en lien avec ses anciennes activités d'avocat, en vertu d'un décret de "déport" paru en octobre 2020.
"La procédure est en cours, le garde des Sceaux a exercé un recours comme c’est son droit", a-t-on assuré à Matignon. "Le dispositif de déport a été organisé de manière à ce que cela n'affecte en aucune manière l'exercice de sa mission de ministre de la Justice".
Pour la Ligue des droits de l'Homme, "une telle mansuétude à son égard renvoie l’image déplorable d’un monde de décideurs s'estimant au-dessus de la loi commune et faisant fi d’une justice égale pour toutes et tous."
"Nous estimons que sa démission du gouvernement permettrait d'éviter que cette séquence ne nourrisse le sentiment de défiance de l’opinion publique à l’égard de l'ensemble de la classe politique", a estimé l'ONG Transparency International.
Nommé à la tête de la Chancellerie à l'été 2020 et reconduit à ce poste après la réélection en mai d'Emmanuel Macron, M. Dupond-Moretti répète sans cesse tenir sa "légitimité du président de la République et de la Première ministre et d'eux seulement".
Les deux principaux syndicats de magistrats, l'Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM), ont souligné dans un communiqué une situation "inédite" pour le ministre, au vu des soupçons d'"atteinte grave à la probité" qui lui valent ce procès, craignant un "nouveau conflit d'intérêts" s'il "devait nommer son propre accusateur" après le départ programmé à la retraite, en juin, de François Molins.
- Désaveu -
Eric Dupond-Moretti, mis en examen en juillet 2021, est accusé d'avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir lorsqu'il était avocat. Ce qu'il conteste.
Un premier dossier concerne l'enquête administrative qu'il a ordonnée en septembre 2020, visant trois magistrats du Parquet national financier (PNF).
Ces magistrats avaient fait éplucher ses factures téléphoniques détaillées ("fadettes") quand M. Dupond-Moretti était encore une star du barreau, dans le but de débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy qu'il était sur écoutes dans l'affaire de corruption dite "Paul Bismuth".
Un vice-procureur du PNF, Patrice Amar, et son ex-patronne, Eliane Houlette, ont comparu en septembre devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui doit rendre sa décision le 19 octobre. Aucune sanction n'a été requise à leur encontre. La troisième magistrate mise en cause, Ulrika Delaunay-Weiss, a été blanchie avant toute audience devant le CSM.
Dans un second dossier, il est reproché au garde des Sceaux d'avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d'instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients quand il était avocat. Eric Dupond-Moretti avait critiqué ses méthodes de "cow-boy".
Le CSM a décidé le 15 septembre de ne pas sanctionner M. Levrault, estimant qu'"aucun manquement disciplinaire ne saurait lui être reproché". Une décision qui a sonné comme un désaveu du ministre.
Tout au long de l'enquête, Eric Dupond-Moretti a répété n'avoir fait que "suivre les recommandations de son administration".
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(G.Gruner--BBZ)