Retraites: l'exécutif temporise, sans exclure une dissolution
L'exécutif a décidé de temporiser sur sa réforme critiquée des retraites, en rouvrant un cycle de concertations pour l'adoption d'un projet de loi "avant la fin de l'hiver", a annoncé jeudi Elisabeth Borne à l'AFP, sans pour autant exclure une dissolution de l'Assemblée nationale en cas de blocage.
Il n'y aura donc pas de passage en force sur ce sujet hautement inflammable, comme cela était redouté au sein même de la majorité alors qu'est organisée jeudi une journée de grèves et de manifestations concernant les salaires mais également les retraites.
A l'issue d'un dîner à l'Elysée autour d'Emmanuel Macron mercredi soir réunissant les cadres de la macronie, "le choix du dialogue et de la concertation" a prévalu, a déclaré la Première ministre, en détaillant un calendrier relativement souple, mais aussi cramponné à la promesse présidentielle d'une application de la réforme à l'été 2023.
La cheffe du gouvernement souhaite présenter "un bilan" de ces discussions avec les partenaires sociaux et forces politiques "avant Noël", laissant ainsi quasiment trois mois de pourparlers potentiels autour d'une réforme déjà en gestation lors du précédent quinquennat, avant d'être interrompue par la pandémie de Covid-19.
Dans cette perspective, Mme Borne a demandé au ministre du Travail Olivier Dussopt "d'engager dès la semaine prochaine" des négociations avec les organisations patronales et syndicales, ainsi qu'avec les "groupes parlementaires" pour discuter carrières longues, pénibilité, usure au travail, ou encore emploi des seniors, régimes spéciaux, et petites retraites.
- "Convergence" -
Cette décision, qui repose sur une "convergence totale entre les différentes composantes de la majorité", selon Mme Borne, dont l'allié récalcitrant du MoDem, met fin à plusieurs jours d'atermoiements sur la façon d'engager cette réforme des retraites, qui prévoit de reporter progressivement l'âge de départ à 65 ans.
Trois pistes étaient en débat: un simple amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) examiné en octobre, hypothèse la plus controversée, un PLFSS rectificatif en janvier, et un projet de loi ad hoc.
Cette dernière option semble donc privilégiée à ce stade par l'exécutif... à condition de parvenir à ouvrir les concertations, alors que syndicats et une grande partie des oppositions politiques sont vent debout contre le fond même de cette réforme.
Un projet de loi dédié présente cependant un risque pour l'exécutif, qui ne dispose que d'une majorité relative à l'Assemblée: il pourrait l'obliger à dégainer l'article 49.3 de la Constitution, qui permet l'adoption d'un texte sans vote sauf motion de censure, mais n'est utilisable qu'une fois par session parlementaire.
En revanche le gouvernement peut utiliser le 49.3 à volonté sur les textes budgétaires tels que les PLFSS.
"On se place dans une hypothèse où l'on peut mener une concertation", a souligné Mme Borne, sans écarter la possibilité d'un amendement au PLFSS.
- "Intimidations" -
Comme pour faire pression sur LR, favorable à une réforme mais hostile à la voie d'un amendement, tout comme l'allié MoDem, le président Emmanuel Macron n'a pas exclu à ce dîner de dissoudre l'Assemblée nationale si les oppositions "se coalisaient pour adopter une motion de censure et faire tomber le gouvernement", a rapporté M. Dussopt.
Un cadre de la majorité proche du Modem a jugé "positive" la relance des discussions.
Pour Olivier Marleix, chef de file des députés LR, relancer des concertations est "un progrès" mais "il ne peut pas y avoir de réforme sans un minimum de confiance" et il est "hors de question de donner un chèque en blanc".
Sur la menace d’une dissolution pour éviter la "chienlit", selon des propos rapportés d'Emmanuel Macron, il a estimé que "celui qui met le feu aux poudres en disant +on va faire la réforme en trois jours+ c'est lui".
Signe d'ouverture, le président du Sénat Gérard Larcher (LR) a jugé cette réforme "indispensable", et estimé que "l'inspiration (de l'exécutif) n’est pas très éloignée de celle" du Sénat, dominé par la droite, qui chaque année dépose un amendement réformant les retraites.
"Chiche" à la dissolution, a lancé Marine Le Pen, à la tête d'un groupe inédit de 89 députés.
"Sa petite entreprise (à Marine Le Pen) se nourrit du blocage. Nous, nous faisons le pari du meilleur : la concertation pour avancer", a rétorqué le ministre des Relations avec le parlement Franck Riester, qui participera aux concertations politiques.
"Nous ne céderons pas aux intimidations puériles", a réagi à gauche le patron du PS Olivier Faure.
"C'est moins pire qu’un amendement, (..) mais trois mois, c’est court, on va se battre, projet contre projet", a prévenu le patron du PCF Fabien Roussel. "Ce gouvernement minoritaire (...) veut attaquer les travailleurs", a réagi le député LFI Alexis Corbière.
Le patron des patrons Geoffroy Roux de Bézieux a lui jugé "raisonnable" la concertation prévue, à laquelle le Medef "évidemment" participera.
(U.Gruber--BBZ)