L'aspiration républicaine grandit aux Caraïbes britanniques après la mort de la reine
Un tissu noir couvre le portrait de la reine Elizabeth II dans l'enceinte du parlement d'Antigua-et-Barbuda, signe du deuil observé dans cet archipel caribéen mais aussi symbole -- involontaire -- d'un possible avenir hors de la monarchie britannique.
La mort de la monarque a ajouté de l'eau au moulin des mouvements républicains dans cette région jadis partie prenante de l'Empire britannique, et où continuent de se faire entendre des appels à ce que la Couronne présente des excuses pour son rôle dans l'esclavage et la colonisation.
Cette idée "est entrée dans le discours normal, de +bon sens+, au moment où une plus large portion de la société se confronte à ces questions et se demande +Qu'est-ce que la monarchie a jamais fait pour nous?+", explique Kate Quinn, professeure associée d'histoire des Caraïbes à l'University College de Londres.
Le républicanisme était une réalité caribéenne avant la fin de la seconde ère élisabéthaine, précise Kate Quinn, "mais sa mort et l'accession de Charles (au trône, NDLR) a donné un élan supplémentaire au débat".
Antigua-et-Barbuda est devenu le premier pays à évoquer l'idée de muer vers une république après la mort de la reine, lorsque son Premier ministre Gaston Brown a dit dans la presse espérer un référendum sur la question dans les trois ans.
Son homologue des Bahamas, sans donner d'échéance, a indiqué nourrir un projet similaire: "Pour moi, c'est toujours sur la table (...) Il me faudra organiser un référendum et que le peuple bahaméen me dise +Oui+", a-t-il dit au lendemain de la mort d'Elizabeth II, selon le journal local Nassau Guardian.
Et la Jamaïque envisage également de "tourner la page", comme l'a dit son Premier ministre Andrew Holness au prince William lors de sa tournée parfois critiquée dans les Caraïbes plus tôt cette année.
Tous s'inscrivent dans les pas de la Barbade, naguère baptisée la "petite Angleterre", dont le parti travailliste au pouvoir a approuvé l'an dernier un amendement constitutionnel retirant à la reine son statut de cheffe d'Etat.
- L'exemple de la Barbade -
Pour les habitants d'Antigua, cet exemple est à la fois source d'inspiration et de circonspection.
"La Barbade vient de devenir une république et ils s'en sortent plutôt bien", confie à l'AFP Kelly Richardson, styliste dans la capitale d'Antigua-et-Barbuda, Saint John's.
Pour lui, la Caraïbe serait "plus unie, plus forte" si les autres royaumes -- Jamaïque, Bahamas, Grenade, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Antigua-et-Barbuda et Belize -- devenaient des républiques.
Mais d'autres se demandent si Antigua-et-Barbuda emprunterait ce chemin si la Barbade ne l'avait pas pris.
"Etait-ce à l'ordre du jour avant que la Barbade ne saute le pas? J'ai simplement l'impression que non, donc ça m'inquiète", a pour estimé un autre habitant, Reul Samuel.
La difficile tournée du prince William en mars a été suivie d'une visite du plus jeune fils d'Elizabeth, le prince Edward, qui a dû annuler une étape à la Grenade après des manifestations pro-républicaines.
Un sondage mené à la Barbade avant le changement de régime a montré qu'à l'exception du prince Harry (41% d'opinions favorables), le reste de la famille royale (Elizabeth II n'étant pas incluse) plafonnait sous les 20% de cote de popularité.
La récente remise en cause du rôle de la monarchie britannique "doit être comprise dans le contexte plus large des demandes de réparations, de l'absence d'excuses de la famille royale pour le rôle de la monarchie dans les crimes historiques de l'esclavage et du colonialisme et leurs conséquences aujourd'hui", entre autres, détaille l'historienne Kate Quinn.
- Pas d'excuses royales -
Le roi Charles III a dénoncé "l'effroyable atrocité" de l'esclavage, "qui entachera à jamais notre histoire".
En Jamaïque, William a fait écho à son père, exprimant sa "peine profonde" face à ces pratiques "odieuses". "Cela n'aurait jamais dû arriver", a-t-il dit.
Mais aucune excuse formelle n'a été formulée jusqu'ici.
Le penchant républicain semble plus prononcé dans les nations caribéennes ayant déjà pris leur indépendance politique vis-à-vis de la Grande-Bretagne.
Il semble improbable que la mort de la reine pousse les territoires britanniques d'Outre-Mer -- les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques, Anguilla, les îles Turques-et-Caïques, Montserrat et les Bermudes -- à rechercher leur indépendance, selon Kate Quinn.
Quoi qu'il en soit, la décision "doit être prise par le peuple, pas les responsables politiques", a dit à l'AFP l'ancien Premier ministre des Bermudes, John Swan, qui a quitté la tête de son parti après l'écrasant rejet de l'indépendance lors d'un référendum en 1995.
(O.Joost--BBZ)