Reggaeton et sport automobile, duo de femmes stars contre le machisme
Le vrombissement des moteurs et le rythme du reggaeton résonnent en cœur pour délivrer un message contre le machisme. La pilote colombienne Tatiana Calderon et sa sponsor, la chanteuse Karol G, conduisent le féminisme jusque sur les circuits.
En juillet, le sponsor de Tatiana Calderon a brusquement cessé de financer son équipe, A.J. Foyt Racing, qui finançait deux autres monoplaces dans le Championnat IndyCar.
Mais c'est la pilote qui a perdu sa place au sein de la principale compétition automobile américaine de monoplaces, où elle était la seule femme du paddock, une première depuis l'Italo-Suissesse Simona de Silvestro en 2013.
"On m'a fait descendre de voiture" en pleine course, raconte la pilote. "Le facteur déterminant (de mon éviction) a été l'argent, mais de toute façon les gens continuent à faire davantage confiance à un homme qu'à une femme", dit-elle à l'AFP.
Après deux mois à la recherche d'un nouveau sponsor, Tatiana Calderon s'est trouvée une place au sein du Charouz Racing System, une écurie tchèque de Formule 2, catégorie où elle a été la toute première à s'aligner, en 2019.
Un nouveau départ rendu en partie possible par une mécène insolite: sa compatriote et chanteuse symbole du féminisme, Karol G, star du reggaeton.
Le sport automobile et la musique, deux milieux au machisme ambiant, qui plus est sur le continent latino-américain. Endroits parfaits pour ces deux femmes déterminées.
- "Makinon" et "Bichota" -
Avec le soutien de celle qui a gagné à neuf reprises les Latin American Music Awards et un Grammy Latino, Tatiana Calderon peut payer ses ingénieurs, ses mécaniciens ou encore ses moteurs pour l'année 2022.
En l'honneur de sa mécène, la pilote a baptisé son bolide le "Makinon". Une référence à une chanson de Karol G.
La pilote colombienne s'est également lancée sur les circuits avec des fanions flanqués du mot "Bichota", expression phare de Karol G qui désigne une femme "sexy", "audacieuse" et "forte".
Tatiana Calderon s'identifie pleinement à cette cause et "au message d'émancipation féminine qu'elle veut faire passer".
"Je crois que le sport féminin a aussi besoin de l'appui des entreprises car presque tout est fait pour les hommes", commente la pilote.
Karol G a quant à elle souffert du machisme dans la production musicale et dans la "sexualisation" des femmes au sein du reggaeton, un genre musical très populaire dans sa ville natale de Medellin, en Colombie. Et au-delà dans toute l'Amérique latine et aux Etats-Unis, gagnant sans cesse de nouvelles audiences, notamment en Espagne mais aussi dans de nombreux pays européens et asiatiques.
Tatiana Calderon, originaire de Bogota et vivant aujourd'hui en Espagne, a souffert des mêmes discriminations de genre dans les paddocks et sur les circuits.
"La même chose a lieu ici (dans l'automobile). Il faut gagner la crédibilité de tes ingénieurs, de tes mécaniciens (...). Il y a beaucoup d'éléments dans les voitures qui sont conçus pour les hommes et toutes les simulations pour les entraînements sont basées sur les expériences des hommes car il y a très peu de femmes", explique-t-elle.
Dès son premier championnat national, lorsqu'elle était adolescente, les commentaires machistes ont fusé.
"J'aimerais pouvoir dire que l'on m'a toujours traitée d'égal à égal (avec les hommes), mais ce serait mentir", confie celle qui fut pilote d'essai et de réserve de Sauber et Alfa Romeo Racing en Formule 1.
- "Modèles" -
De quoi imaginer un jour le passage en F1, la catégorie reine du sport automobile?
Récemment, Stefano Domenicali, ex-patron de l'écurie Ferrari désormais à la tête de la F1, a déclaré que "de manière réaliste, à moins qu'une météorite ne s'écrase sur terre, je ne vois pas comment une femme pourrait concourir en Formule 1 dans les cinq prochaines années".
Un commentaire que la Colombienne a du mal à digérer: "que les gens te disent que tu ne peux pas n'aide pas à ce que les filles aient envie de faire du karting ou se lancent dans l'automobile. Je crois qu'on a besoin de modèles à suivre", conclut-elle.
Les siens sont sûrement Maria Teresa de Filippis et Lella Lombardi, deux Italiennes, les seules femmes à avoir pris le départ d'un GP de F1, respectivement en 1958 et en 1975-76.
Trois autres femmes ont participé aux essais sans parvenir à se qualifier: l'Anglaise Divina Galica (1976 et 1978), la Sud-Africaine Désirée Wilson (1980) et l'Italienne Giovanna Amati (1992).
(Y.Yildiz--BBZ)