Dans le Wyoming conservateur, un refuge improbable pour les LGBT
Il y a près de 25 ans, les Etats-Unis apprenaient avec effroi la mort d'un jeune étudiant gay, victime d'un crime homophobe atroce dans le petit bourg de Laramie. Cette ville du Wyoming revendique désormais un statut inattendu de havre de paix pour les minorités sexuelles de cet Etat très conservateur.
"Il est toujours très amusant pour moi de dire que je suis sorti du placard dans le Wyoming", raconte Ray Kasckow, une personne transgenre résidant dans cette commune nichée entre deux montagnes de l'Ouest américain.
Dans cet Etat, connu pour être le moins peuplé d'Amérique et qui a offert à Donald Trump son meilleur score en 2020, "les gens ne conçoivent pas comment cela peut être possible", sourit Ray, 27 ans.
Pour nombre d'Américains, le Wyoming et les 30.000 habitants de Laramie resteront à jamais associés au nom de Matthew Shepard.
Le 6 octobre 1998, cet étudiant de 21 ans est entraîné hors d'un bar de la ville par deux jeunes hommes. Après un trajet en voiture, ils le frappent sauvagement à coups de crosse de revolver avant de le laisser pour mort, attaché à une clôture. Matthew Shepard est retrouvé 18 heures plus tard par un cycliste qui le prend d'abord pour un épouvantail.
Inconscient, il décède quelques jours plus tard à l’hôpital.
- "Système d'entraide" -
La mort de Matthew Shepard sonne comme un coup de semonce pour les progressistes américains, braquant une lumière crue sur les violences homophobes dans le pays.
En 2009, une loi portant le nom du frêle étudiant en sciences politique est adoptée au niveau fédéral pour renforcer la lutte contre les crimes homophobes.
Mais à Laramie, c'est d'abord l'exode. "Les professeurs sont partis, les étudiants sont partis, les résidents sont partis, par peur", se remémore Judy Shepard, la mère de Matthew.
Aux côtés de son mari Dennis, elle fonde la Matthew Shepard Foundation, "pour essayer d'améliorer la vie des amis et des pairs de Matt", raconte la septuagénaire.
Une troupe de théâtre new-yorkaise se rend six fois sur place pour créer "The Laramie Project", une pièce à résonance mondiale pour expliquer comment et pourquoi cette bourgade endormie au coeur des grandes plaines a donné naissance à deux assassins.
La faute entre autres à la mentalité de cow-boy, ode à la virilité et la masculinité, qui règne dans cet Etat extrêmement rural et isolé.
Dans cette ville, qui vit au rythme des longs trains de marchandises qui la traversent, le réseau associatif se tisse peu à peu. Jusqu'à ce qu'en 2015, Laramie devienne la première ville du Wyoming à adopter un arrêté interdisant les discriminations contre les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres).
Deux ans plus tard, elle organise sa première marche des fiertés.
Devant la plupart des commerces de Laramie, et tout autour de l'ancien bar où Matthew Shepard a été enlevé, flottent désormais des drapeaux arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT.
On croise aussi des jeunes portant des pin's avec le pronom neutre "they", revendiqué par les personnes ne s'identifiant ni comme un homme, ni comme une femme.
"Les gens s'installent à Laramie parce qu'ils savent qu'ils y trouveront une communauté, des amis et un système d'entraide", salue Ray Kasckow.
- "Lois transphobes" -
Cette sorte de mini-refuge contraste par bien des égards avec la façon dont les personnes LGBT sont traitées dans le reste de l'Etat, souligne Tyler Wolfgang, membre de l'association Laramie Pridefest.
"A l'assemblée locale, on voit émerger beaucoup de lois transphobes" qui tentent d'interdire aux sportifs transgenres de concourir dans des compétitions féminines, ou de les empêcher d'utiliser les toilettes reflétant leur identité, alerte cette personne non-binaire.
Cette offensive contre les personnes transgenres trouve un écho dans la plupart des Etats américains conservateurs, plusieurs élus républicains ayant redoublé leurs attaques à deux mois des élections législatives de mi-mandat.
"Nous sommes revenus à la case départ", déplore Judy Shepard, dénonçant "un terrible climat d'ignorance et de haine à l'égard de la communauté gay et de tous les groupes marginalisés".
Mais depuis 1998 et la mort de Matthew, "nous nous sommes organisés", assure-t-elle. "Tellement de personnes sont sorties du placard et sont à l'aise avec qui elles sont, qu'il sera bien plus difficile de nous ignorer", estime-t-elle.
Confirmation de sa notoriété nationale, les cendres de Matthew Shepard ont été transférées à la Cathédrale nationale de Washington au 20ème anniversaire de sa mort.
A Laramie, un banc a été installé au milieu du campus de l'université du Wyoming, où il étudiait. Avec cette plaque: "Il continue d'imprimer sa marque".
(H.Schneide--BBZ)