Dans les usines de yaourts, si le gaz est coupé, tout s'arrête
Remplis de lait de vache venant de tout le nord de la France, des camions-citernes rutilants sont rangés en file devant l'usine de yaourts Eurial de Jouy dans l'Yonne, à une centaine de kilomètres de Paris, l'une des plus importantes de France, très consommatrice d'un gaz devenu précieux.
Ici comme dans toutes les usines du genre, le gaz sert à pasteuriser immédiatement, par chauffage, le lait que les camions-citernes transfèrent dans d'immenses cuves d'acier verticales, après de minutieux contrôles de qualité effectués dans chaque camion à l'arrivée.
Un lait qui sera ensuite prêt à être transformé en yaourt ou autre produit lacté, avant de rejoindre sans délai les linéaires des supermarchés.
Dans cette usine, qui emploie 461 personnes et va fêter ses 100 ans le 30 septembre, un arrêt d'activité par manque d'énergie, "c'est du jamais vu", pour lui.
Idem pour les quatre autres usines du groupe, où travaillent au total un millier de personnes, à 90% occupés sur des lignes de fabrication de produits portant la marque de grands distributeurs, en France et dans plusieurs pays européens.
Eurial produit aussi quelques marques en propre, comme Soignon, les 300 laitiers bio, ou encore A bicyclette.
- "on va jeter le lait" -
S'il est impossible de le pasteuriser par manque de gaz, "on ne pourra plus réceptionner le lait, cela veut dire qu'on arrête de le collecter, et c'est dramatique pour nos producteurs, car on va jeter le lait", s'inquiète M. Falconnier, qui préside aussi Syndifrais, le syndicat professionnel regroupant 22 fabricants de yaourts, soit 70% de la production française.
La conséquence de coupures pourrait être une pénurie dans les supermarchés, livrés en flux tendu: "On fabrique des produits qui ont une durée de vie moyenne de 30 jours. Et on fabrique pour vendre le lendemain. Quand j'arrête une usine, j'arrête de produire, et j'arrête de vendre, donc je ne peux plus alimenter mes clients".
Pour lui "plus de gaz", c'est "plus de yaourt": un drame du quotidien dans le pays qui tient la deuxième place mondiale des mangeurs de yaourts, derrière les Pays-Bas.
Après "l'épisode douloureux" du Covid, où l'entreprise a dû gérer comme elle a pu l'absentéisme de jusqu'à 30% de son personnel en gérant le moral de ses équipes, et cette année "les inflations énormes" de 20% en moyenne subies sur les prix des matières premières (fruits, plastique, carton d'emballage, énergie, etc.), la perspective de coupures de gaz l'hiver prochain fait figure de dernier coup du sort.
"Là, on est fragilisé, c'est-à-dire qu'on ne peut pas se permettre d'avoir d'autres catastrophes comme des arrêts d'usine, ce n'est pas possible", plaide M. Falconnier en soulignant que cette situation touche l'ensemble des industriels de l'ultrafrais en France.
Il aimerait que le secteur des yaourts, "produits de première nécessité qui ne peuvent pas être stockés quand on arrête de les produire", soit reconnu comme "essentiel" et dispensé de coupures de gaz.
"On a su nous dire qu'on était prioritaires et essentiels au fonctionnement du pays quand il y avait le Covid. Et nous, on a mis en oeuvre ce qu'il fallait pour être capable d'alimenter les magasins pour fournir des produits quotidiennement", rappelle-t-il.
La transition énergétique? Remplacer le gaz russe par du gaz de méthanisation, il y pense bien sûr, mais pas d'un seul coup, ça prend "cinq à dix ans", selon lui.
Alors que la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, et le ministre de l'Industrie, Roland Lescure, rencontrent les fédérations d'industriels mercredi pour lancer des concertations sur la nécessaire sobriété énergétique dans l'industrie et une réduction de 10% de la consommation énergétique d'ici deux ans, M. Falconnier estime que ce sujet "s'envisage sur du moyen terme avec des étapes".
"On ne peut pas faire des investissements pour des périodes de six mois, ce n'est pas possible. Du jour au lendemain, ne plus alimenter une usine, c'est l'arrêter. On ne sait pas gérer autrement".
(P.Werner--BBZ)