L'excision, tabou toujours aussi difficile à briser, selon l'écrivaine Halimata Fofana
Victime d'une excision dans son enfance, Halimata Fofana publie mercredi en France son deuxième livre sur le sujet pour briser le silence et faire bouger les lignes, à l'heure où la lutte contre cette pratique a été mise à mal par la pandémie de Covid-19.
"A l'ombre de la cité Rimbaud", qui paraît mercredi, relate le parcours de Maya, originaire du Mali et qui vit en banlieue parisienne, victime d'une excision à l'âge de six ans, lors d'un voyage à Bamako.
"L'excision que subit Maya, c'est celle également que j'ai subie", dit à l'AFP Halimata Fofana, 40 ans, autrice française d'origine sénégalaise. "La manière abrupte dont les choses sont faites, c'est quelque chose que j'ai vécu et que je voulais montrer pour que les gens comprennent ce qu'est l'excision, sans pour autant être dans le trash".
Pour elle, l'acte s'apparente à un "viol" combiné à une "amputation", car il s'agit d'une "intrusion" dans l'intimité pour "arracher" une partie des organes génitaux.
En France, où cette pratique est interdite, on estime que 125.000 femmes sont excisées. Le sujet reste "extrêmement tabou", bien que la question des violences faites aux femmes se soit imposée dans la société ces dernières années.
La difficulté à dénoncer ses parents qui ont perpétué la pratique et la peur du qu'en dira-t-on dissuadent les femmes concernées de rompre le silence, estime Halimata Fofana. Mais "si moi je ne le fais pas en étant une victime, qui va le faire? Je pense que c'est à nous de nous battre et de dire les choses", affirme-t-elle.
- "Expurger" la douleur -
"Quand on commence à parler, forcément, ça crée une explosion. Mes livres, ce sont des bombes que j'envoie", décrit d'une voix sereine l'autrice qui vit aujourd'hui à Lille, dans le nord de la France. Pour cette passionnée du romancier français Victor Hugo et de l'écrivain sénégalais Léopold Sédar Senghor, prendre la plume à son tour lui a aussi permis "d'expurger" la "douleur" et de se "libérer".
Au moins 200 millions de filles et de femmes ont subi une forme de mutilation sexuelle dans les pays les plus concernés (27 pays africains, ainsi que l'Indonésie, l'Irak, les Maldives et le Yémen), selon le Fonds des Nations unies pour la population. Plus de quatre millions de filles risquent d'être excisées chaque année dans le monde.
Interruption des programmes de sensibilisation, fermeture des hébergements d'urgence et des écoles isolant les filles dans leur famille: la pandémie de Covid-19 a perturbé le travail des associations qui luttent contre ces pratiques, selon l'organisme.
"Alors qu'on avait des résultats très satisfaisants depuis 30 ans, là, on est plus inquiet", commente auprès de l'AFP Isabelle Gillette-Faye, directrice du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS).
"Le Covid a eu un effet catastrophique, c'est tout un système de lutte contre les violences qu'il va falloir reconstruire", ajoute-t-elle.
- Accouchement -
Halimata Fofana a également coréalisé un documentaire sur l'excision, disponible sur la plateforme de la télévision franco-allemande Arte, afin d'évoquer la position des mères qui maintiennent la tradition en pensant agir dans l'intérêt de leurs filles.
"Il s'agit souvent de femmes qui n'ont pas eu d'accès à l'école, or c'est très compliqué de remettre en cause une tradition quand vous n'avez pas d'autre ouverture", décrypte-t-elle.
Pour amener ces femmes à abandonner la pratique, "il faut oser mettre les mots et leur faire prendre conscience que les difficultés et souffrances qu'elles ont dans leur corps sont les conséquences directes de l'excision", explique cette ancienne éducatrice.
Les professionnels de santé, en particulier les gynécologues ou sages-femmes, peuvent notamment porter ces messages. "L'accouchement, c'est le moment où jamais pour en parler", souligne Halimata Fofana.
En France, le gouvernement a lancé en 2019 un plan national pour lutter contre l'excision, axé sur la formation des professionnels et le repérage des risques.
Comme dans le roman, la principale situation à risque pour les filles qui vivent en France est de se rendre pour les vacances dans le pays d'origine des parents, où la pratique subsiste.
(G.Gruner--BBZ)