Venezuela : une ville andine capitale du suicide lutte pour la vie
Le pompier Henry La Cruz saute de sa moto et se précipite pour retenir un homme de 21 ans qui s'apprêtait à se jeter dans le vide d'un viaduc de Merida, une ville andine de l'ouest du Venezuela.
Le sauveteur de 42 ans ne parvient que trop rarement à sauver une vie dans cette région où le taux de suicide est inexplicablement bien supérieur à la moyenne nationale de ce pays de 30 millions d'habitants.
L'Observatoire vénézuélien de la violence (OVV), la référence en l'absence de chiffres officiels récents, estime à 1.164 le nombre de suicides au Venezuela en 2021, soit un taux de 4,3 pour 100.000 habitants. A Mérida, ce taux est plus de deux fois supérieur, soit 9,9 pour 100.000.
En 2016, le ministère de la Santé avait recensé 843 suicides dans ce pays dont 97 dans l'Etat de Merida, qui ne compte que 860.000 habitants.
Il n'y aucune étude qui explique cette tendance macabre mais les autorités régionales ont entamé fin juillet une campagne de prévention pour tenter d'enrayer le phénomène avec notamment des débats et des conférences dans les écoles.
"Nous devons éduquer la société (...) que les gens cessent de considérer cela comme un tabou, qu'ils perdent leur peur de prononcer le mot +suicide+", estime la conseillère régionale Fabiana Santamaria. "Il ne s'agit pas seulement de dire aux gens de ne pas tenter de se suicider, il s'agit de leur donner les outils pour vivre et de tomber amoureux de la vie".
Les patrouilles dans les endroits à risque ont augmenté, explique Henry La Cruz, qui souligne qu'au moment du sauvetage du jeune homme, il répondait à un autre appel d'urgence concernant un autre possible suicide. Il cherchait une victime sous le pont, dans la rivière ou dans la végétation environnante quand il a remarqué le jeune homme sur le viaduc.
- "Comme j'ai pu" -
"Quand nous sommes arrivés, la sirène était allumée, il s'est retourné et a grimpé sur le parapet... Je l'ai attrapé par le bras, il a forcé pour se dégager mais je l'ai tiré comme j'ai pu vers la chaussée", raconte-t-il.
Les deux hommes ont ensuite parlé pendant plus de deux heures avant que le jeune homme ne se laisse convaincre de ne pas mettre fin à ses jours.
Sur la rambarde du pont où Henry La Cruz l'a sauvé, un groupe religieux a apposé un autocollant sur lequel est écrit : "Le suicide n'est pas ta fin. Dans le coeur de Dieu, il y a une histoire qui porte ton nom".
"Nous avons détecté que les idées suicidaires ou les tentatives de suicide sont très présentes dans les groupes particulièrement vulnérables" en raison de leur orientation sexuelle ou de leur situation économique, a déclaré à l'AFP Jau Ramirez, le directeur de l'ONG Somos (nous sommes), qui se concentre sur la communauté LGBT+ et gère des groupes de soutien.
La dépression est l'une des principales causes de suicide, selon l'OVV, qui recense les cas rapportés dans la presse et les rapports partiels des autorités.
Lorsque son mari l'a quittée du jour au lendemain, la laissant seule avec ses quatre enfants, Thais Beltran a attenté à sa vie. "Je me suis consumée", se souvient-elle.
Physiothérapeute, elle a surmonté sa crise et travaille avec des personnes handicapées dans une ONG tout en confortant aussi les patients ayant des pensées suicidaires.
"Savoir ce que l'on ressent, ce que c'est de toucher le fond" lui permet de mieux les aider, explique-t-elle. "Savoir leur parler, savoir les comprendre".
Une ligne d'assistance téléphonique de la fédération des psychologues est ouverte pour ceux qui se sentent désemparés mais les experts jugent cette initiative insuffisante, la région pâtit de nombreuses carences au niveau des programmes et centres de santé spécialisés.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), un décès sur 100 dans le monde est un suicide.
(B.Hartmann--BBZ)