Sainte-Soline: prison avec sursis requise pour les manifestations interdites
Du sursis requis contre des militants anti-"bassines": des peines de 6 à 12 mois de prison avec sursis ont été requises mardi à Niort pour l'organisation de manifestations interdites à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les réserves d'irrigation, dont le bien-fondé a accaparé les débats.
Huit mois après les violents heurts entre militants environnementaux et forces de l'ordre près de la "bassine" de Sainte-Soline, le procureur Julien Wattebled a demandé au tribunal correctionnel de prononcer des "peines mesurées et dissuasives".
"La peur règne depuis trop longtemps dans ce département. Il y a eu trop de blessés, trop de dégâts", a fait valoir le magistrat.
"Notre rôle est de dire stop, car on a depuis cet été des annonces de surenchères qui vous disent que ce sera encore plus fort", a-t-il lancé, alors qu'une prochaine mobilisation des anti-"bassines" est annoncée en juillet prochain dans le Poitou, juste avant les Jeux olympiques de Paris.
Il a dépeint Julien Le Guet, porte-parole du collectif "Bassines non merci" (BNM) qui réclame un moratoire sur ces réserves agricoles, comme étant "au coeur de l'organisation". Il a requis contre lui 12 mois de prison avec sursis, 2.100 euros d'amende et une interdiction de paraître à proximité des réserves de Sainte-Soline et Mauzé-sur-le-Mignon.
Le parquet a par ailleurs requis huit mois avec sursis contre Joan Monga, alias Basile Dutertre, et six mois contre Nicolas Garrigues, alias Benoît Feuillu, deux militants des Soulèvements de la Terre, un collectif dont la dissolution demandée par le ministère de l'Intérieur a été annulée début novembre par le Conseil d'Etat.
Des amendes et diverses mesures ont été requises contre les six autres prévenus, dont l'interdiction de paraître dans les Deux-Sèvres pendant 3 ans pour les sept prévenus n'habitant pas le département. Les neuf mis en cause comparaissaient pour différents motifs, en particulier l'organisation des manifestations interdites du 29 octobre 2022 et du 25 mars 2023.
- "Pas le procès des réserves" -
Tout au long de l'audience, qui avait été suspendue le 8 septembre dernier "pour la sérénité des débats" dans une ambiance surchauffée, les parties ont amplement développé leurs arguments pour ou contre les "bassines".
Ces réserves, qui visent à stocker de l'eau puisée dans les nappes en hiver afin d'irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient, sont emblématiques d'un "accaparement" de l'eau par l'agro-industrie, selon leurs détracteurs. Leurs partisans en font au contraire une assurance-récolte indispensable à leur survie face aux sécheresses à répétition.
"Aujourd'hui ce n'est pas le bon jugement", a déclaré M. Le Guet. "Aujourd'hui c'est celui de ceux qui préservent l'intérêt général. On espère fort qu'un jour il y aura celui de ceux qui l'ont bafoué."
"Ce procès ne peut pas être celui des réserves de substitution", a répondu M. Wattebled. "Il y a d'autres juridictions pour ça."
Les opposants saluent d'ailleurs l'annulation par la justice administrative début octobre de deux projets portant sur la création de 15 retenues d'eau en Poitou-Charentes, pour leur inadaptation aux effets du changement climatique.
Avant l'audience, les prévenus, qui avaient nié en septembre être les organisateurs des manifestations, ont été soutenus à l'extérieur par des dizaines de manifestants.
Une centaine de personnes se sont ensuite réunies à la "bassine" d'Oulmes (Vendée), en lien avec le procès, selon la gendarmerie, qui n'a pas relevé de dégradations.
A la barre, des agriculteurs irrigants sont venus exprimer leur désarroi.
Guillaume Raynaud, 42 ans, exploitant en polyculture bio et éleveur de bovins allaitants, a décrit un projet "nécessaire" pour "prévenir des années sèches".
- Préjudice matériel -
Pour Thierry Boudaud, président de la Coop de l'eau, groupement d'agriculteurs qui porte le projet de 16 réserves contestées, les violences commises pendant les manifestations sont un "traumatisme".
Me Sébastien Rey, avocat de la Coop de l'eau, a estimé que ce procès devait permettre de définir "ce qui est acceptable ou pas dans la liberté d'expression". Il a réclamé près de 950.000 euros pour le préjudice matériel en terme de sécurité de la bassine de Sainte-Soline (barrières, gardiennage...).
Après de premières violences en octobre 2022 à Sainte-Soline, la manifestation de mars avait dégénéré rapidement en affrontements avec les gendarmes, faisant de nombreux blessés. Deux manifestants ont passé plusieurs semaines dans le coma.
Dans un rapport, la Ligue des droits de l'homme a dénoncé un "usage disproportionné" des armes (grenades lacrymogènes, LBD) par les forces de l'ordre.
Une commission d'enquête parlementaire sur les violences en manifestations a conclu pour sa part mi-novembre à la "responsabilité écrasante des trois organisateurs" de Sainte-Soline.
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(T.Brown--TAG)