Les bassines en débat au procès des organisateurs des manifestations interdites
Le procès des organisateurs des manifestations contre les "bassines" à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), interrompu début septembre en raison de la longueur des débats, a tourné à celui de ces réserves d'eau pour l'irrigation agricole mardi à sa reprise à Niort.
"On peut espérer que le juge du tribunal (correctionnel) de Niort estime lui aussi que prendre part à ces grandes mobilisations pour la défense de l'eau, pour la défense du climat, ne mérite absolument pas d'être condamné", a déclaré avant l'audience Benoît Feuillu, militant des Soulèvements de la Terre, dont la dissolution demandée par le ministère de l'Intérieur a été annulée début novembre par le Conseil d'Etat.
Les partisans de ces réserves, qui visent à stocker de l'eau puisée dans les nappes en hiver afin d'irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient, en font au contraire une assurance-récolte indispensable à leur survie face aux sécheresses à répétition.
"Aujourd'hui ce n'est pas le bon jugement, a poursuivi M. Le Guet. Aujourd'hui c'est celui de ceux qui préservent l'intérêt général. On espère fort qu'un jour il y aura celui de ceux qui l'ont bafoué, qui ont été élus et qui ne prennent pas la mesure du péril climatique".
Ils sont neuf responsables associatifs ou syndicaux poursuivis devant le tribunal correctionnel pour différents motifs, en particulier l'organisation des manifestations interdites du 29 octobre 2022 et du 25 mars 2023 qui avaient été émaillés de violents affrontements avec les forces de l'ordre.
Le 8 septembre, le tribunal avait suspendu l'audience "pour la sérénité des débats" qui s'étaient éternisés pendant huit heures dans une ambiance surchauffée et menaçaient de se prolonger jusqu'à l'aube.
- "On bâche rien" -
Mardi, huit des neuf prévenus, soutenus à l'extérieur par des dizaines de manifestants, sont entrés dans le tribunal en scandant "No Bassaran" et "On bâche rien". Ils encourent six mois d'emprisonnement, outre des peines complémentaires pouvant aller jusqu'à la privation des droits civiques.
Avant l'audience, le président Eric Duraffour a coupé sèchement Julien Le Guet qui répondait dans la salle à des journalistes, en déclarant: "Ici, c'est un tribunal, pas une tribune".
Deux agriculteurs irrigants, victimes de dégradations en marge des manifestations antibassines, sont ensuite venus exprimer à la barre leur désarroi.
"On n'en dort plus la nuit quand on sait qu'il va y avoir des manifestations", a déclaré Arthur Perrault, 30 ans, futur agriculteur raccordé à la réserve de Sainte Soline. "C'étaient deux périodes assez dures, une pression forte, et avec, forcément, des dégâts sur nos cultures".
"Ce projet de réserve est nécessaire pour l'exploitation, pour avoir du fourrage l'hiver pour nos bêtes, prévenir des années sèches, avoir une alimentation de qualité et une rentabilité économique pour assurer la gestion de l'exploitation", a expliqué Guillaume Raynaud, 42 ans, membre de la Coop de l'eau, groupement d'agriculteurs qui porte le projet de ces 16 réserves contestées.
- "Irrigation raisonnée" -
"On essaie de faire au mieux, de l'irrigation raisonnée, uniquement la nuit. On ne peut pas survivre sans un minimum d'irrigation", a ajouté cet exploitant qui fait de la polyculture bio et de l'élevage de bovins allaitants.
Les opposants mettent à l'inverse en exergue l'annulation par la justice administrative début octobre de deux projets portant sur la création de 15 retenues d'eau en Poitou-Charentes, pour leur inadaptation aux effets du changement climatique.
Après ces témoignages, des spécialistes de l'eau et de sa gestion ont été entendus avant les réquisitions du parquet et les plaidoiries des six avocats de la défense, qui pointent "la faiblesse de l'enquête".
Après de premières violences en octobre 2022 à Sainte-Soline, la manifestation de mars avait dégénéré rapidement en affrontements avec les gendarmes, faisant de nombreux blessés. Deux manifestants ont passé plusieurs semaines dans le coma.
Dans un rapport, la Ligue des droits de l'homme a dénoncé un "usage disproportionné" des armes (grenades lacrymogènes, LBD) par les forces de l'ordre.
Une commission d'enquête parlementaire sur les violences en manifestations a conclu pour sa part mi-novembre à la "responsabilité écrasante des trois organisateurs" de Sainte-Soline qui se sont pensés "comme des +soldats+ d'une cause intégrant pleinement l'enjeu et la nécessité de la radicalité violente".
(N.Miller--TAG)