Sainte-Soline: procès des organisateurs des manifestations interdites
Le droit de manifester est au cœur du procès de responsables syndicaux et militants écologistes jugés en correctionnelle, vendredi à Niort, pour avoir organisé des rassemblements contre les "bassines" à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) interdits par les autorités.
Cinq des neuf prévenus -- Benoît Feuillu et Basile Dutertre, militants des Soulèvements de la Terre, Benoît Jaunet et Nicolas Girod, représentants de la Confédération paysanne, ainsi que Julien Le Guet, porte-parole du collectif "Bassines non merci" (BNM) -- sont poursuivis pour la manifestation du 25 mars marquée par de violents affrontements avec les forces de l'ordre.
Sébastien Wyon, de la Confédération paysanne, et Nicolas Beauvillain, de BNM, comparaissent, eux, pour le vol d'une canalisation lors d'une précédente manifestation en mars 2022, qui est également reproché à Basile Dutertre.
Ce dernier - de son vrai nom Joan Monga - a refusé de répondre aux questions sur ce vol et assuré qu'il n'était "pas l'organisateur de ces manifestations".
"Il y a des centaines de collectifs, d'associations, une masse qui s'organise et qui devient une communauté. Cette communauté n'a pas besoin de chef, ni de structure hiérarchique, ni de commandement", a ajouté le militant des Soulèvements de la Terre.
"Je ne suis qu'un camarade, que porte-parole d'un syndicat qui s'inscrit dans un collectif, je ne suis en aucun cas un décideur", s'est défendu Hervé Auguin.
"C'est un procès historique car c'est le procès de l'eau, a lancé Nicolas Beauvillain. Soit vous ferez de nous des lanceurs d'alerte, soit des martyrs de la guerre de l'eau qui a déjà commencé."
- "Volonté d'intimider" -
Seize "bassines" sont programmées, dont celle de Sainte-Soline, la plus grande. Ces retenues creusées dans la terre visent à stocker de l'eau puisée dans les nappes en hiver, afin d'irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient.
Leurs partisans en font une assurance-récolte indispensable à la survie des agriculteurs irrigants (minoritaires au sein de la profession) face aux sécheresses à répétition. Les opposants dénoncent un "accaparement" de l'eau par "l'agro-industrie" et réclament un moratoire.
Les avocats des prévenus s'interrogent unanimement sur les raisons de poursuivre des personnes physiques plutôt que les organisations qu'elles représentent. Me Alice Becker, conseil de la CGT, y voit "une volonté d'intimider des individus et de faire peur".
La défense dénonce aussi une atteinte au droit de manifester visant à "décourager les mouvements sociaux", selon Me Pierre Huriet, avocat de Solidaires, ou encore "une criminalisation de l'action politique et syndicale" pour Chirine Heydari-Malayeri, Inès Giacometti et Balthazar Lévy, conseils de la Confédération paysanne.
"Les mégabassines assoifferont nos enfants", "Changeons de modèle agricole, gardons l'eau dans les sols", pouvait-on lire sur des banderoles.
- "Changeons de modèle" -
Après de premières violences en octobre à Sainte-Soline, la manifestation de mars avait dégénéré rapidement en affrontements avec les gendarmes, faisant de nombreux blessés. Deux manifestants ont passé plusieurs semaines dans le coma.
Dans un rapport, la Ligue des droits de l'Homme a dénoncé un "usage disproportionné" des armes (grenades lacrymogènes, LBD) par les forces de l'ordre.
"Le procès que j'appelle de mes vœux, c'est celui des bourreaux de Sainte-Soline, des membres de la chaîne de commandement qui a autorisé l'envoi de 5.000 grenades sur les manifestants de Sainte-Soline", a lancé à la barre Julien Le Guet.
La secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a dénoncé à Niort un "scénario écrit d'avance" par le gouvernement "pour faire porter à nos organisations (...) la responsabilité des graves violences qui ont eu lieu à Sainte-Soline".
Selon elle, c'est le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, "qui devrait être au tribunal aujourd'hui", "puisque c'est lui qui, la veille de la manifestation, a annoncé qu'elle serait extrêmement violente".
(K.Müller--BBZ)