Ukraine: de la musique pour tenter d'oublier les tranchées
"Quand j'écoutais, je ne pensais pas aux tranchées": au repos pour une sinusite, Oleksandre a pu oublier la guerre le temps d'un concert de soldats-musiciens qui jouent pour des combattants, près du front en Ukraine.
Le concert a lieu dans un centre de convalescence de la 23e brigade mécanisée ukrainienne, dans une ville de la région de Donetsk (Est).
Cette unité combat autour d'Avdiïvka, où les forces russes mènent des assauts violents et répétés depuis deux mois, au prix de pertes importantes, pour prendre la ville.
Oleksandre et cinq autres soldats de la brigade, convalescents comme lui, sont assis aux premiers rangs de la vingtaine de spectateurs qui assistent au concert, dont des civils et d'autres militaires.
Aux premiers rangs, trois soldats écoutent passivement, le visage marqué de fatigue, le regard absent.
- Traumatisme -
Avant de faire un solo, le violoniste demande au public quel air il connaît.
"Je ne me souviens pas, j'ai oublié tout ce que mes parents me chantaient dans mon enfance", lance l'un des soldats. "Nous ne nous en souvenons pas, nous avons eu un traumatisme après un bombardement", ajoute un autre.
Il faudra une chanson grivoise sur la hiérarchie entonnée par le guitariste pour voir les soldats se détendre et esquisser un sourire.
En revanche, au dernier rang, quatre femmes employées du centre mettent l'ambiance, rient, chantent et applaudissent à chaque chanson.
Mais la guerre n'est jamais loin. Lors d'une pause cigarette dehors, deux des convalescents échangent entre eux immanquablement au sujet du front.
- "Comment ça se passe là-bas ces derniers jours ?", demande l'un.
- "Tu ne sors pas de la tranchée avec ces putains de drones", répond un autre. "Tu tires dessus, tu en abats un et ça empire, merde: l'ennemi te voit et te bombarde (...) Il n'y a nulle part où se cacher".
Après une remise de médailles par le commandant adjoint de la brigade et le discours d'un prêtre, le concert se termine avec une guest-star, la chanteuse ukrainienne Daniela Zaïouchkina, du groupe de rock Vivienne Mort, qui entonne des titres au piano en solo d'une voix émouvante.
"J'ai aimé, parce que cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu ou vu la civilisation", dit à l'AFP le soldat Oleksandre, 31 ans. Il raconte vivre "toujours dans les tranchées ou dans les maisons" servant de base aux militaires dans les villages près de leurs positions.
"Avant, j'écoutais de la musique tout le temps, parfois je m'endormais avec des écouteurs, mais maintenant je n'en écoute plus du tout, je n'en ai plus envie", explique le militaire, mis au repos une semaine.
- Rêves -
"Quand j'écoutais (le concert), je ne pensais pas aux tranchées. Il y a des chansons ou des rythmes qui vous rappellent quelque chose, de bons souvenirs", ajoute le soldat.
Le guitariste, Roman Rameniev, 43 ans, appartient, comme les autres instrumentistes, à l'association "Forces culturelles", qui compte une soixantaine d'artistes militaires et civils.
Plus de 2.500 concerts de l'organisation se sont tenus pour les soldats près du front, dans des unités, des hôpitaux militaires ou centres de soins, depuis le début de l'invasion russe en février 2022.
"Nous donnons aux garçons la possibilité de se distraire un peu, avec la musique, le chant, les blagues, qu'ils oublient pour un temps où ils sont et se concentrent sur autre chose et se reposent", explique Roman Rameniev.
Il regrette le côté un peu formel du concert ce jour-là, avec remise de médailles et discours.
Habituellement, "nous venons dans les maisons où ils vivent, il y a environ dix personnes, et nous faisons la connaissance de chacun", raconte le soldat-musicien. Il combattait dans une brigade avant de rejoindre en juin l'association "Forces culturelles".
Pour la chanteuse Daniela Zaïouchkina, "le premier objectif est de distraire. Au moins pour cinq minutes, et si ça marche, alors je n'ai pas besoin de plus de bonheur", dit à l'AFP l'artiste qui a créé une fondation récoltant des fonds pour l'achat de drones pour l'armée.
"Mes priorités sont telles que maintenant je vis pour aider les militaires", dit la jeune femme.
(P.Davis--TAG)