Rétractation de Takieddine: l'heure de la décision pour Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy ressortira-t-il vendredi mis en examen ou témoin assisté du tribunal de Paris ? C'est l'heure de la décision pour les juges d'instruction qui l'interrogent depuis mardi dans l'enquête sur des manœuvres frauduleuses pour le disculper des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle 2007.
Après une trentaine d'heures d'interrogatoire sur trois jours, l'ex-chef de l'Etat (2007-2012) devrait se présenter une dernière fois vendredi matin devant les magistrats financiers chargés de l'information judiciaire ouverte en mai 2021 après la rétractation du sulfureux intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine.
Dans cette opération, appelée "Sauver Sarkozy" par l'un des mis en cause, la justice s'intéresse aux manœuvres qui auraient été élaborées par au moins neuf protagonistes, à des degrés et moments divers: la reine des paparazzis Mimi Marchand, l'intermédiaire Noël Dubus, déjà condamné pour escroquerie, le défunt financier Pierre Reynaud, le puissant chef d'entreprise David Layani, etc.
L'objectif aurait d'abord été d'obtenir que le sulfureux intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine retire, fin 2020 contre rémunération, ses accusations contre lui. Ce revirement avait donné lieu à une retentissante interview sur BFMTV et Paris Match, point de départ de l'enquête.
Puis, au premier semestre 2021, cela aurait visé à obtenir une preuve que le retentissant "document libyen" publié dans l'entre-deux-tours de la présidentielle 2012 par Mediapart et évoquant un financement à hauteur de 50 millions d'euros était un faux.
Ou encore à obtenir de magistrats libanais la libération d'un fils Kadhafi détenu dans ce pays, pour que la famille du défunt dictateur libyen facilite la mise hors de cause de M. Sarkozy.
Pour les enquêteurs, selon un chiffrage récemment établi, au moins 608.000 euros auraient pu être utilisés dans cette opération.
Dans cet interrogatoire de première comparution entamé mardi, M. Sarkozy est interrogé sur des soupçons de "recel de subornation, association de malfaiteurs en vue de la préparation d'escroqueries en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de la corruption de personnels judiciaires étrangers", d'après une source judiciaire.
- "Folie" -
Vendredi, les juges d'instruction devront trancher entre deux options.
Première possibilité, ils considèrent disposer de suffisamment d'indices graves et concordants quant au fait que M. Sarkozy aurait donné une forme d'aval à ces démarches. Dans ce cas, ils pourraient le mettre en examen pour tout ou partie des infractions visées, et l'ancien président risquerait un procès.
Seconde possibilité: ils estiment qu'à ce stade les éléments à leur disposition confirment certes que M. Sarkozy était informé au moins d'une partie de l'opération, mais qu'il n'a joué aucun rôle actif pour la favoriser. Dans ce cas, ils pourraient le placer sous le statut moins incriminant de témoin assisté.
S'il obtient ce statut pour toutes les infractions en cause, alors M. Sarkozy éviterait à ce stade le risque d'un procès: une victoire judiciaire pour lui.
En juin, face aux enquêteurs de l'Oclciff, spécialisés dans les affaires financières, l'ex-président a certes dit avoir été informé par Mimi Marchand en octobre 2020, soit un mois avant que l'information ne soit publique, d'un souhait de M. Takieddine de changer de version.
Mais selon ses auditions dévoilées par Libération et consultées par l'AFP, M. Sarkozy a assuré qu'"aucun élément concret matériel, de téléphonie, ne peut (l)'incriminer dans cette folie, ni de près, de ni de loin".
Longuement interrogé sur son agenda et sa téléphonie de la fin 2020 et du début 2021, qui suggèrent des rendez-vous ou conversations à des moments-clés avec des protagonistes du dossier, M. Sarkozy a évoqué quelques "coïncidences" mais nié tout contact significatif.
Pour lui, "toute cette petite bande n'a que pour seule préoccupation de se faire mousser les uns par rapport aux autres" en prétendant être en contact avec lui, et "l'idée même que je puisse pousser directement ou indirectement au financement des pieds nickelés est une idée folle".
Quelle que soit la décision des magistrats, l'agenda judiciaire de M. Sarkozy, qui sera samedi matin dans son fief de Neuilly-sur-Seine pour la promotion de son dernier livre "Le temps des combats", restera très chargé.
Outre le procès du financement libyen, prévu début 2025, il sera jugé en novembre en appel dans le dossier Bygmalion.
L'affaire dite "Bismuth" pourrait, elle, faire l'objet d'un nouveau procès, pour raisons procédurales.
(P.Werner--BBZ)