Après la garde à vue d'une journaliste, des juges mettent en examen un ex-militaire présenté comme sa source
La source d'une journaliste identifiée par la justice puis mise en cause ? Au lendemain de la fin de garde à vue de la journaliste d'investigation Ariane Lavrilleux qui a indigné la profession, un ex-militaire a été mis en examen jeudi à Paris, suspecté de l'avoir renseignée.
Deux juges d'instruction parisiens, chargés depuis juillet 2022 d'une information judiciaire sur plusieurs infractions relatives au secret de la défense nationale, avaient ordonné mardi le placement en garde à vue d'Ariane Lavrilleux, journaliste collaborant pour le média Disclose, ainsi que d'un ancien militaire.
Après pratiquement 40 heures de garde à vue, Mme Lavrilleux a été relâchée mercredi soir vers 21h, libre sans poursuites à ce stade.
L'ancien militaire, que la justice semble considérer comme une des sources d'articles publiés par le média Disclose et notamment signés par la journaliste Ariane Lavrilleux, a lui été présenté jeudi aux juges d'instruction parisiens.
D'après le parquet de Paris, il a été mis en examen pour détournement et divulgation du secret de défense nationale par son dépositaire, deux infractions passibles de 7 ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende.
Il a été placé sous contrôle judiciaire, a précisé le ministère public.
Sollicitée, son avocate n'a pas réagi dans l'immédiat.
L'enquête a démarré à la section des affaires militaires et des atteintes à la sûreté de l'Etat du parquet de Paris par deux plaintes déposées par le ministère des Armées en janvier et novembre 2021, faisant "suite à la parution d'articles dans le media Disclose, comportant des documents et photographies supportant la mention +Confidentiel Défense+ ainsi que des éléments susceptibles de permettre l'identification d'agents du renseignement", a précisé le ministère public.
Un seul article de Disclose semblait initialement au centre de l'enquête: publié en novembre 2021, il affirmait que la mission de renseignement française "Sirli", entamée en février 2016 au profit de l'Egypte au nom de la lutte antiterroriste, avait été détournée par l'Etat égyptien, qui se servait des informations collectées pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-libyenne.
Mais le site d'investigations en ligne a précisé mercredi sur X (ex-Twitter) que selon ses informations, "les enquêteurs de la DGSI reprochent à [la] journaliste d'avoir signé 5 articles sur les ventes d'armes françaises à l'étranger, publiés dans le média depuis 2019".
Outre celui portant sur l'opération "Sirli", Disclose cite des articles portant sur "la vente de 30 avions Rafale à l'Égypte", "les armes livrées à la Russie jusqu'en 2020", "la vente de 150.000 obus à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU)" et "le transfert d'armes illicite des EAU vers la Libye".
-- "Fin du journalisme" --
L'annonce de la mesure coercitive visant la journaliste a suscité une profonde indignation dans la profession, qui s'inquiète pour la protection du secret des sources.
Des rassemblements ont eu lieu mercredi dans plusieurs villes, telles que Paris, Lyon ou Marseille.
Plusieurs associations majeures défendant la liberté de la presse, telles que Reporters sans frontières (RSF) et Amnesty International, ont également condamné la mesure.
Lors d'une conférence de presse jeudi après-midi au siège de RSF à Paris, Ariane Lavrilleux s'est indignée qu'un "nouveau cap" ait été franchi contre la liberté d'informer, dénonçant un "détournement des services de la justice".
"Si on ne protège pas les sources, c'est la fin du journalisme", a-t-elle insisté.
Pour elle, cette arrestation intervient "après des attaques qui se multiplient ces dernières années, essentiellement sous la présidence d'Emmanuel Macron", contre la liberté de la presse.
Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a refusé mercredi de répondre à plusieurs questions sur cette affaire, lors du compte rendu du Conseil des ministres.
De son côté, "la ministre de la Culture défend toujours la liberté de la presse mais ne commente jamais une procédure judiciaire en cours", a indiqué jeudi le cabinet de Rima Abdul Malak à l'AFP.
A la fois média d'information et ONG, le site Disclose a été fondé en 2018 par deux journalistes d'investigation. Son financement repose exclusivement sur les dons, garantissant son indépendance éditoriale, explique Disclose sur son site, où toutes ses enquêtes sont en libre accès.
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(P.Werner--BBZ)