Puits de carbone et de biodiversité, la mangrove de Mayotte en danger
"On est venu expliquer comment protéger la mangrove, en arrêtant de jeter des déchets". Sérieuse comme un professeur, Aïnati joue les guides d'un jour au milieu des racines tentaculaires des palétuviers qui s'engouffrent dans le sol vaseux de Mayotte.
"Ici, on peut voir trois palétuviers différents: des rouges, des jaunes et des blancs", complète sur le même ton El Hakim, 12 ans, un de ses quatre camarades de CM2 de l'école de Chirongi, au sud de l'archipel français de l'océan Indien.
En retrait, deux professionnels de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) observent la leçon des deux adolescents.
"Nous travaillons avec des scolaires pour les sensibiliser au respect de cet environnement", souligne Grégoire Savourey, chargé de mission biodiversité pour l'UICN. "Ils choisissent un site, et y reviennent régulièrement pour l'étudier et le protéger".
Selon une récente étude de cet organisme, la moitié des écosystèmes de mangrove de la planète risque de s'effondrer sous les effets du changement climatique, de la déforestation ou de la pollution.
A Mayotte, cette végétation particulière qui croît à l'interface de la terre et de la mer est spécialement menacée par la prolifération de déchets et l'agriculture.
Etalée sur près de 750 hectares, la mangrove y constitue un marqueur de la biodiversité.
"Ce sont des nurseries à poisson car l'environnement y est calme. Et on y trouve des espèces remarquables et menacées", précise Grégoire Savourey.
- "Déchetterie" -
La matière organique contenue dans la vase fait aussi de la mangrove un puits de carbone et sa végétation limite fortement l'érosion.
A Mayotte, la pollution est son ennemi numéro 1.
Avec les marées, les déchets viennent casser les jeunes palétuviers et s'entassent sur les troncs ou les abords des rivières. Sur les 200 hectares de mangrove de Chirongui s'agglutinent des pneus, des batteries de voitures, des tissus ou des sacs de riz.
"Les mangroves se transforment parfois en déchetterie, on vient régulièrement pour nettoyer les sites", regrette Manrifa Moustoifa Ali, chargé de mission sensibilisation à l'UICN.
Autre danger: les flux de personnes et de véhicules. "Les pêcheurs ont tendance à élargir les canaux et certains véhicules motorisés n'hésitent pas à traverser", remarque Grégoire Savourey.
"Nous avons même découvert que la partie sèche de la mangrove, qui est peu en contact avec la marée, servait désormais de terrain d’apprentissage à la conduite", s'indigne-t-il.
Les terres situées à l'entrée des mangroves sont par ailleurs très fertiles et régulièrement déboisées pour être cultivées. Autant de pratiques qui mettent l'arrière-mangrove en danger critique d'extinction.
"Dans dix, quinze ans, cette zone n'existera plus si on ne fait rien", alerte Manrifa Moustoifa Ali.
- Mauvais esprits -
Les zones plus humides sont pour le moment épargnées. Mais les associations environnementales s'inquiètent déjà des dégâts que pourrait subir celle située près d'Iloni, à l'est de l'archipel, si le projet de construction d'une deuxième usine de dessalement de l'eau de mer voit le jour.
Mayotte souffre régulièrement de pénuries d'eau potable, qui contraignent les autorités à rationner l'alimentation de ses quelque 300.000 habitants.
"Le choix du site impacte une mangrove et un récif frangeant qu'il faudra en partie détruire pour faire passer les canalisations de pompage et de rejet", s'est émue la Fédération mahoraise des associations environnementales dans un courrier au préfet.
"Cette mangrove est, en outre, un des habitats du crabier blanc, espèce protégée en danger critique d'extinction", a-t-elle ajouté.
Pour sensibiliser la population à tous ces enjeux, l'UICN a joué la carte des enfants.
"Si cet environnement est dégradé, c'est notamment parce qu'il n'a pas une bonne image", justifie Grégoire Savourey, en rappelant que dans l'imaginaire collectif mahorais, la mangrove est souvent présentée comme attirant le mauvais esprit.
"Il y a un djin (esprit) dans la mangrove qui nous manipule pour nous noyer ou qu'on mange de mauvaises choses, c'est un diable", assure d'ailleurs El Hakim. "Et un autre djin peut nous paralyser la main", complète sa camarade Aïnati.
La croyance est si vive que pour éviter les malédictions, certains n'hésitent pas à y déposer un coran ou à en accrocher des pages dans les arbres...
"En ciblant les jeunes, on espère que les générations futures auront davantage envie de protéger cet environnement", espère Grégoire Sabourey.
(A.Moore--TAG)